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Écrit par Paul Baffier

Paul, traducteur du tibétain en anglais et français. Il a été formé à l’INALCO et au Rangjung Yeshe Institute.

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Dans son article “Instagramable”, Paul parle de nos vies entre like(s) et pas like(s), entre les extrêmes de l’existence et leur fin… ?

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Fonctionner dans un monde disfonctionnel, est-ce disfonctionner ? C’est une question que je souhaiterais laisser sans réponse, car chacun trouvera pour soi la réponse qui convient. Et cette réponse gouvernera sa vie toute entière. Et déterminera le moment de sa mort.

Question trop profonde, donc, pour qu’on y réponde autrement que par sa propre expérience de vie. Dans la tradition, bien des maîtres ont parlé de la nature disfonctionnelle de l’existence conditionnée, et du caractère cyclique de ce disfonctionnement. Oui, non content d’être un défaut permanent, le monde est une ritournelle de bugs et de problématiques. Parfois, il y a quelques plages de calme qui sont comme des shoots de drogue : ils nous rendent insatisfaits, et on se démène pour en obtenir encore davantage. C’est l’insatisfaction née d’un instant de bonheur. Paradoxe sublime sur lequel est fondé une grand part de nos existences. Trouver d’autres moments du bonheur fait de nous des chercheurs d’or dans la mine de l’existence conditionnée : toujours au bord de l’asphyxie, et toujours en train d’espérer une nouvelle pépite, plutôt que de remonter pour respirer au grand air, au grand jour.

Et ça continue comme ça jusqu’au moment où ça finit.

« La fin est dans le début, et pourtant on continue » écrit Beckett dans Fin de partie.

Le caractère défectueux de notre existence conditionnée assigne notre vie à cet enchaînement perpétuel de plaisirs et de déplaisirs, de quête de louange et de crainte de blâme, de bonheurs et de douleurs : on souhaite l’instagramabilité de notre gloire, mais pas l’instagramabilité de notre honte ; on veut des followers, pas des haters.

« Les êtres critiqueraient même un parfait éveillé » dit-on au Tibet.

Cette cacophonie de heurts et de bonds, nous la suivons et la poursuivons, nous y participons par nos actions. Non contents d’en être patients, nous en sommes agents. Nous voulons que nos ennemis échouent et que nos amis triomphent, nous souhaitons que nos aimés vivent éternellement et que disparaissent ceux que nous considérons comme des monstres affreux. C’est le chant fou du monde conditionné, ce manège de dingues ! Une pluie de souhaits rudes sur des graines d’égocentrisme, elle donne naissance à une moisson de souffrances toujours renouvelée. Nous souffrons de ne pas obtenir ce que nous voulons, nous souffrons d’obtenir ce que nous ne voulons pas.

Connaissant leur au-delà unique, il y demeure apaisé et alerte, vif mais serein, établi au sein de la non-saisie des haters et des followers, des success stories et des loosers finis, du star system et de l’anonymat suprême, du like et du dislike.

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Mila Khyentse racontait un jour que lorsqu’on réfléchit véritablement à cette ronde endiablée, à cet enserrement sans fin ni sortie des heurts et conséquences de l’enchaînement des causes, on en vient à vomir, à vomir ses tripes, à vomir tout ce qu’on a.

Oui, on vomit réellement de cette prison en ligne droite qui n’est que notre esprit. On vomit de voir qu’on est à nous-même notre propre encagement invisible et sans barreau, manifesté dans chacune de nos réactions émotionnelles, dans chacune de nos « idées-de-génie », dans chacun de nos « actes-de-pure-liberté ».

« Le monde est une île de cannibales qui s’entre-dévorent » écrivait Patrul Rinpoché (Le Trésor du coeur des êtres éveillés).

Pour nous, c’est pire :

Notre prison se manifeste partout comme notre monde et nous la voyons comme une liberté.

Il nous faudra dès lors distinguer notre liberté illusoire et conceptuelle, d’une libération ultime au-delà de nos concepts.

Dans le Sèmdé, la première série d’enseignements du Dzogchèn, on dit que l’introduction à la nature de l’esprit a lieu quand se fait jour, dans l’esprit du pratiquant, un parfait équilibre entre la compréhension des causes inexorables de son emprisonnement et la compréhension de la cause infaillible de sa libération.

Dès lors, le pratiquant dzogchèn qui a obtenu la parfaite connaissance de la prison et de la libération, en connaît la totale égalité. En connaissant leur égalité, il ne peut que se diriger vers l’au-delà de ces deux opposés conceptuels que sont la souffrance conditionnée et sa fin. Connaissant leur au-delà unique, il y demeure apaisé et alerte, vif mais serein, établi au sein de la non-saisie des haters et des followers, des success stories et des loosers finis, du star system et de l’anonymat suprême, du like et du dislike.

Demeurant dans cette égalité où se révèle la nature non-partiale des phénomènes, il peut y réaliser la présence spontanée de la nature ultime de toutes choses, leur état naturel.

Les trois aphorismes

“Les trois aphorismes” de Prahevajra, Garab Dorje est un nouveau texte traduit par le comité de traduction de Dzogchen Today !

Pratiquer la Grande Perfection

“ Pratiquer la Grande Perfection” de Dza Patrul Rinpoché, est une nouvelle traduction du comité de traduction Dzogchen Today!

Le chant de l’évidence primordiale

Le chant de l’évidence primordiale est l’un des textes fondamentaux les plus importants du Dzogchèn. Traduit par le Comité Dzogchen Today!

Le remède bénéfique qui dissipe la maladie

“Le remède bénéfique qui dissipe la maladie” de Jamyang Khyentse, est une nouvelle traduction du comité de traduction Dzogchen Today!

L’instruction du pointé de bâton

L’instruction du pointé de bâton est un texte trésor Dzogchèn redécouvert par Nyangräl Nyima Özer, traduit par le Comité Dzogchen Today!

Les petites graines cachées

Les Petites Graines Cachées est l’un des textes fondamentaux du Dzogchèn. En voici la traduction par Philippe Cornu, Paul Baffier et le comité de traduction de Dzogchen Today!

Une présentation super courte de la littérature dzogchèn traduite en anglais

Les traductions et traducteurs essentiels (en langue anglaise) de la tradition du dzogchèn tibétain, selon Paul, traducteur du tibétain vers le français et l’anglais.

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