PRINTEMPS

Écrit par Paul Baffier

Paul, traducteur du tibétain en anglais et français. Il a été formé à l’INALCO et au Rangjung Yeshe Institute.

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Dans cet article, “Printemps”, spyid en tibétain, Paul discute de la notion de renouveau et de commencement pour le Dzogchèn.

PRINTEMPS

DPYID

 

Le printemps est souvent pour nous l’arrivée d’un renouvellement : le bourgeonnement des arbres, la réapparition de la chaleur (le soleil est revenu de vacances !), l’appel de voyages prochains, sont l’occasion de pressentir une force nouvelle, l’advenue d’un aggiornamento de notre vie. Même vieux, le printemps nous rappelle la jeunesse ; même malades, il nous apporte un réconfort dont la douceur nous réjouit.

Les arts de toutes les cultures ont célébré le printemps comme un moment de fête et de renaissance. On songe au haïkiste Issa :

                                                                  Matin de printemps

                                                                    Mon ombre aussi

                                                                     Déborde de vie !

En tibétain, printemps se dit dpyid (prononcer « tchi »). En tant que substantif, on le traduit « printemps » bien sûr, mais en tant qu’adjectif ou adverbe (dpyid du), il peut se transformer en « printanier », « primesautier », ou même « vernal » (rare, il vient du latin vernum). Il se rapproche ainsi du champ sémantique de la base primordiale de la Grande Perfection, première puisqu’elle est la source de tout jaillissement d’expérience : en ce sens, elle est la prime jeunesse de toute manifestation illusoire formelle.

Les érudits affirment que le grand maître Dzogchen, Jamyang Khyentse Wangpo, utilisait fréquemment le mot dpyid dans ses écrits de jeunesse. Le terme donne en effet à la phrase qu’il anime une connotation de vitalité, entre fraîcheur et plaisir, frisson de la brise et rayon qui réchauffe.

Mais il est vrai qu’en tibétain, dpyid désigne également les essences vitales de la physiologie subtile du corps : blanche et rouge, père et mère, elles sont les constituants premiers de la manifestation d’un corps. ****Remarquons donc que le terme désigne deux réalités : non seulement le renouvellement des formes extérieures qui se parent d’un nouvel atour floral, mais aussi la force vitale qui anime cette dynamique de changement ornemental.

Comment pourrait-elle ne pas être perceptible, elle qui est la base ultime de toute perception ? Comment pourrait-elle être perceptible, puisqu’elle est au-delà de toute détermination ? Évidente, elle l’est, puisqu’elle se manifeste en tout et par tout. Primordiale, elle l’est, car comme le printemps, elle est première à chaque fois, dans sa simplicité nue.

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C’est une caractéristique des spiritualités et des mythes : on trouve, dans le vieux fond des légendes et des techniques contemplatives, l’ambition de renouer avec l’essence la plus profonde du vivant, de dénicher le cœur de la réalité dans ses manifestations les plus éphémères. Comme s’il s’agissait d’un secret bien gardé et pourtant là, présent à nos yeux ?

Dans le Dzogchèn, on met beaucoup l’accent sur la notion d’impermanence, méditation cardinale sur le caractère transitoire et bref de notre existence. Elle fait partie des pratiques fondamentales (tib. sngon ‘gro, prononcer « ngön dro », « ce qui vient avant » : là aussi, ces pratiques sont premières donc printanières), car elle fonde toute la suite de notre chemin. D’une certaine manière, on pourrait dire que toutes les autres pratiques qui suivront, avec leurs formes diverses, ne seront que l’approfondissement et la transformation de cette méditation cardinale sur le transitoire et l’intermédiaire.

En effet, si elle débute sur l’observation commune du changement perpétuel dans notre vie (cycle des saisons, cycle de la vie et de la mort, cycle de la jeunesse et de la vieillesse, cycle du repos et de l’activité, cycle de la création et de la destruction), cette méditation s’approfondit peu à peu dans la contemplation des êtres disparus et de notre mort prochaine : pour les poètes, c’est la méditation de l’ubi sunt, l’inlassable interrogation sur la disparition de ceux qui nous ont précédés (« Où sont-ils passés ?! »). Elle fait naître à la fois, de manière paradoxale, la certitude de notre finitude, mais aussi la joie profonde de mener une vie pleine de sens et tournée vers le bien commun.

Puis notre méditation de l’impermanence s’affine encore pour déboucher sur la contemplation directe de l’absence d’existence propre des phénomènes, leur grande liberté originelle, fondement de leur ballet magistral mais illusoire. Le flux permanent de l’impermanence des choses révèle leur non-soi et les libère de la pesanteur de toute détermination conceptuelle : ni choses ni non-choses, leur apparence même est la présence du vide d’existence ; et leur forme même, l’apparition d’une impossibilité.

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Le nez en l’air, à voir les moucherons voler et les nuages passer, on découvre alors que oui, « c’était là dès le début », et qu’à l’instar de la lettre volée d’Edgar Poe, les choses les plus cachées sont celles qui sont mises le plus en évidence. L’expérience de la liberté naturelle de la réalité est un secret non gardé.

                                                                  J’écoute : — 
                                                                   Tout fuit,

                                                                  Tout passe ; 
                                                                   L’espace 
                                                                     Efface 
                                                                    Le bruit.

C’est ainsi que l’on passe du transitoire au liminaire, c’est-à-dire à ce qui est juste au niveau du seuil de perception, proche de l’imperceptible, dans l’entre-deux du perceptible et de l’imperceptible : celui de la nature de l’esprit. Comment pourrait-elle ne pas être perceptible, elle qui est la base ultime de toute perception ? Comment pourrait-elle être perceptible, puisqu’elle est au-delà de toute détermination ? Évidente, elle l’est, puisqu’elle se manifeste en tout et par tout. Primordiale, elle l’est, car comme le printemps, elle est première à chaque fois, dans sa simplicité nue.

Les maîtres Dzogchèn le répètent :

« la Grande Perfection est si simple, nous sommes si compliqués ».

Dès lors, l’expérience de la liberté naturelle des phénomènes dans la nature de l’esprit est une expérience « auto-secrète » comme l’explique souvent Mila Khyentse, au sens où elle est une expérience-à-faire, et pas une rhétorique qui se contente de répéter que « tout est parfait ».

Ainsi, l’update que propose le printemps nous révèle à nous-même la profondeur secrète des sensations les plus évidentes, il nous fait admettre que le plus visible de notre quotidien propose un enseignement précieux : il y a, dans le mouvement universel des choses qui vont à la mort, la possibilité d’une renaissance spirituelle. Pour qui sait la déceler.

J’éternue

Et perds de vue

L’alouette.

Le premier haïku est tiré du site temple-du-haiku.fr et le second, dont l’auteur se nomme Yayu, de Fourmis sans ombre, le livre des haïkus.

Le poème du milieu, c’est Hugo, Les Djinns.

L’enseignement spécial du sage et radieux souverain

“L’enseignement spécial du sage et radieux souverain” de Patrul Rinpoche est une nouvelle traduction du comité de traduction Dzogchen Today!

Les trois aphorismes

“Les trois aphorismes” de Prahevajra, Garab Dorje est un nouveau texte traduit par le comité de traduction de Dzogchen Today !

Pratiquer la Grande Perfection

“ Pratiquer la Grande Perfection” de Dza Patrul Rinpoché, est une nouvelle traduction du comité de traduction Dzogchen Today!

Le chant de l’évidence primordiale

Le chant de l’évidence primordiale est l’un des textes fondamentaux les plus importants du Dzogchèn. Traduit par le Comité Dzogchen Today!

Le remède bénéfique qui dissipe la maladie

“Le remède bénéfique qui dissipe la maladie” de Jamyang Khyentse, est une nouvelle traduction du comité de traduction Dzogchen Today!

L’instruction du pointé de bâton

L’instruction du pointé de bâton est un texte trésor Dzogchèn redécouvert par Nyangräl Nyima Özer, traduit par le Comité Dzogchen Today!

Les petites graines cachées

Les Petites Graines Cachées est l’un des textes fondamentaux du Dzogchèn. En voici la traduction par Philippe Cornu, Paul Baffier et le comité de traduction de Dzogchen Today!

Une présentation super courte de la littérature dzogchèn traduite en anglais

Les traductions et traducteurs essentiels (en langue anglaise) de la tradition du dzogchèn tibétain, selon Paul, traducteur du tibétain vers le français et l’anglais.

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