Les mathématiques du chemin

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Écrit par Grégoire Langouet

Doctorant à UCLouvain (Belgique), co-directeur des éditions Vues de l'esprit, traducteur du tibétain.

Blog | Dzogchèn Introduction générale

Dans « Les mathématiques du chemin », Grégoire nous invite sur le tracé d’une improbable géométrie du chemin du Dzogchèn.

Série « Le chemin spirituel dans le Dzogchèn »

Commencer le chemin du Dzogchèn

Les mathématiques du chemin

Commencer, lorsqu’on commence, c’est souvent plus facile que terminer. Il y a l’élan du débutant : la soif de la nouveauté, l’envie de conquérir, l’espoir de la réussite. Mais, chemin faisant, rien ne se passe exactement comme on l’avait prévu…

Les raisons de notre commencement peuvent être multiples (voir un exemple avec l’article : Pourquoi commencer le chemin de la Grande Perfection) et au final, on n’a peut-être que l’apparence du choix. Notre motivation est toutefois primordiale. Pourquoi s’embarquer dans une telle aventure ?  Par curiosité, pour moins souffrir ou moins penser, pour mon bonheur ou pour aider autrui… ou pour amener tous les êtres à l’Eveil ? A cette motivation fondamentale à la base du chemin du Dzogchèn — la bodhicitta — s’ajoutera avec le temps une confiance très profonde en ce chemin, et en celle ou celui qui nous y guide, qui est alors notre lien vers la nature primordiale, notre véritable visage. Elles se développeront graduellement, car il ne faut pas se mentir, le chemin direct de la vacuité des vidyadharas (vous pouvez lire Un (faux) départ à ce sujet), bien peu d’entre nous y ont droit. Bad karma ! Mais ne soyons pas découragés et quelle que soit notre apparente motivation initiale, chaussons nos bottes de sept lieues pour marcher dans les pas de celles et ceux qui nous ont précédés…

« Le chemin – droit ou courbé, brisé, circulaire ou spiralé – n’aura été qu’une énième histoire que nous nous racontions. Car depuis-toujours-et-à-jamais est présente la sphère unique de la Réalité. »

ཁྱེད་ཀྱི་རྗེས་སུ་བདག་བསྒྲུབ་ཀྱི (khyed kyi rjes su bdag bsgrub kyi) – « Je pratique à ta suite » (ou « Dans tes pas, je te suis [afin d’accomplir ta nature] »), dit la célèbre « prière en sept vers » adressée au plus fameux des maîtres tibétains, Gourou Rinpoché, Padmasambhava, l’un des initiateurs du Bouddhisme et du Dzogchèn au Pays des neiges. C’est donc parti, à l’aventure !

Lorsque l’on commence à emprunter un chemin spirituel, on a souvent l’habitude, comme tout « chemin », de le penser de façon linéaire. On part de A pour arriver à Z. Toute la cartographie nous l’a appris ; nos GPS nous le confirment – merci aux mathématiques et dorénavant aux algorithmes ! Sur la route, il y a un itinéraire plus long, moins cher, et un autre plus rapide mais avec péages. A nous de savoir ce qui prime et quels sont nos moyens (et pas forcément financiers)… Quoi qu’il en soit, sur la route comme sur le chemin spirituel, on part d’un endroit, pour arriver à un autre. Donc une ligne, avec un début et une fin, droite ou courbe, circulaire ou spiralée, mais toujours une ligne, ou des lignes.

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Osons une comparaison qui n’a souvent pas lieu d’être : comparer la voie spirituelle et les mathématiques. Le chemin du Dzogchèn se suivrait alors comme un trajet linéaire avec des étapes. Mais il ne faut pas oublier que ces étapes et tout le chemin lui-même sont ultimement illusoires… ( Voir Le chemin qui ne mène nulle part). Ces étapes ne sont toutefois que les grandes lignes, les balises jalonnant le chemin afin de nous fournir quelques repères. Car au final, chaque chemin sera toujours unique et fait d’exceptions à la règle.

Pour affiner notre description géométrique du chemin graduel de la Grande Perfection, disons que la ligne n’est peut-être pas la forme la plus exacte. La ligne-chemin serait en fait plutôt… un cercle – une ligne refermée sur elle-même !

Car si le Dzogchèn est un véhicule dit du résultat, celui-ci est alors à la Base. L’alpha est donc l’omega. Le commencement est la fin. Et pour s’éloigner encore un peu plus de la perspective du chemin graduel illusoire du Dzogchèn, mieux qu’un cercle, ce chemin serait même… un point ; un non-cercle, une absence de chemin, un voyage immobile.

On retombe alors sur le chemin immédiat de la vacuité déjà évoqué, celui du Dzogchèn radical, une fois parvenu à la phase d’achèvement du chemin graduel. Ainsi, pour filer la métaphore mathématique, une fois le chemin graduel de la ligne arpenté, celle-ci se referme en cercle qui est reconnu comme point : ici-et-maintenant, immédiatement, tout a toujours été Grande Perfection — vaste et sublime félicité, radieuse vacuité !

 

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Un point, disions-nous, ou mieux encore… une sphère. C’est ainsi que la tradition qualifie parfois la réalité ultime — la sphère unique de la Réalité, ou sphère de l’unité (thig le nyag gcig). Selon la Grande Perfection, cette sphère (thig le) n’est pas dans l’espace physique (‘mkha), ni même dans l’espace « interne », matriciel (klong), mais est espace primordial des phénomènes de la Réalité (dbyings). Quant au temps, nous sommes au-delà de ses trois composantes habituelles – passé, présent et futur. Le non-chemin du Dzogchèn est hors-temps, sans chronologie, une sorte de quatrième temps dit de l’égalité. C’est ainsi que se dévoilera l’ordinaire et fabuleuse Grande Perfection. Patience !

Le chemin – droit ou courbé, brisé, circulaire ou spiralé – n’aura été qu’une énième histoire que nous nous racontions. Car depuis-toujours-et-à-jamais est présente la sphère de l’unité de la Réalité. Ligne, cercle, point puis sphère, voici notre petit voyage dans les mathématiques Dzogchèn. Tout ne fait que commencer… A nous de jouer !

 

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