L’Ami de bien 3

dzogchentoday-gregoire

Ecrit par Grégoire Langouet

Doctorant à UCLouvain (Belgique), co-directeur des éditions Vues de l'esprit, traducteur du tibétain.

Blog | Dzogchèn Histoire | Dzogchèn Introduction générale | Les bases du Dzogchèn

Dans “l’Ami de bien 3”, Grégoire nous parle de la place du maître dans quelques traditions du proche-orient antique.

L’Ami de bien 3 : Le Moyen-Orient

Après avoir parcouru le berceau asiatique et le monde « occidental », nous nous tournerons à présent vers le « Moyen-Orient ». Nous évoquerons à la vitesse de la lumière la figure et le rôle du maître, ou « ami de bien », dans l’Est du bassin méditerranéen et les territoires allant jusqu’à l’actuel Iran. Un petit panorama du Proche-Orient antique nous donnera à voir la diversité des grandes traditions qui ont marqué ces régions et la centralité de cette figure du maître, presque méconnue de la modernité et devenue synonyme de soumission alors qu’elle l’a si longtemps été de… libération ! Que savons-nous donc du guide spirituel dans ces traditions, et quel en est l’héritage pour nous aujourd’hui ?

En remontant dans le temps – mais en laissant de côté Sumériens, Hittites et Assyriens, et même les Egyptiens ! –, nous trouvons le Judaïsme antique, sur les terres de Palestine – entre Egypte et Babylonie. Les sources sont rares, hormis les traces archéologiques et les récits de la Torah. On imagine que les prêtres du premier Temple (Xe.-VIe. s av.-J.-C.) jouaient un rôle capital dans la guidance spirituelle des hébreux de l’époque, de même qu’après l’exil et le retour de Babylone lors de la période dite du Second Temple (VIe s. av. – Ier s. ap-J.-C.).

Sorte de noblesse juive héréditaire, les prêtres s’occupent, avec les Lévites, de l’ensemble des pratiques rituelles, principalement des sacrifices et des offrandes, en plus des prières et de la récitation de la Torah et des Psaumes. A ce moment, la figure du rabbin ( רַב, Rav) n’est pas encore attestée. On s’inspire des figures prophétiques (Abraham, Moïse, Elie, Ezechiel et d’innombrables autres) mais celles-ci se perdent dans la nuit des temps. Ce n’est qu’avec les Pharisiens (IIe s. av. J.-C.) que l’on trouve les premières attestations historiques. Les figures de Sages émergent ensuite parmi lesquelles Hillel l’Ancien et rabbi Akiva, puis rabbi Shimon bar Yohaï et son fils Eleazar, figures importantes des origines de la kabbale (קבלה – qabbala) – la tradition ésotérique juive.

Le maître kabbaliste est un guide spirituel qui, comme tout maître authentique, transmet à ses élèves par sa présence, ses conseils et ses pratiques, ce qu’il a reçu de son propre maître. La tradition est maintenue vivante par cette lignée ininterrompue de bénédiction que chaque maître réactive… depuis Moïse ! Etudes et pratiques spirituelles alternent avec retraites et intégration dans le quotidien — sans parler des étranges exorcismes et autres possessions angéliques. Cette tradition complète et authentique est toujours vivante et transmise… et pas qu’à Jérusalem !

 

On se confie à lui en pleine confiance. Plus l’on est direct et authentique, plus cela nous sera bénéfique en retour. Plus l’on se dévoile, plus la réalité divine se dévoile. Plus l’on donne, plus l’on reçoit. « Tout laisser — tout recevoir ».

Pour revenir à nos sages rabbins, un de leurs contemporains deviendra un peu plus célèbre que les autres – en tout cas pour beaucoup d’entre nous –, un rabbin qui appelle Dieu, « abba » (אבא – ἀββα), père : Jésus. Jésus de Nazareth, devenu Christ.

En plus de prêcher la fin des temps, il accomplit des miracles, soigne les malades et ressuscite les morts. Mais plus encore, il traverse la mort et ressuscite en apparaissant à ses disciples pour leur donner ses derniers enseignements. L’incroyable ne s’arrête pas là : son corps disparaît trois jours après sa crucifixion alors qu’il repose dans un tombeau, seuls les vêtements qui le recouvraient demeurent : un corps arc-en-ciel (འཇའ་ལུས) ? [1]

Durant sa vie, il s’entoure de disciples que l’on appellera apôtres. Ils vivent, prient et mangent tous ensemble mais ne travaillent pas, contrairement aux autres rabbins. Ils propagent la « bonne nouvelle » (εὐ-αγγέλιον – « évangile ») : le messie que tous les juifs attendaient est bien là, présent parmi eux, en la personne de ce Jésus ; Yéshouah. Apôtres, évangélistes et croyants poursuivent la lignée des enseignements en appelant à la prière du cœur continuelle, comme Paul dans sa première lettre aux Thessaloniciens, (« Priez sans cesse ! » (1 Th 5, 17)).

L’Eglise se structure en communautés. Les épiskopoi veillent. Les plus motivés partent en ermites dans les déserts d’Egypte ou de Syrie. Une vie contemplative, retirée du monde, totalement dévouée à Dieu. La figure du maître, du guide spirituel, devient alors capitale pour ne pas céder aux tentations des démons et bien s’orienter sur son chemin. On se confie à lui en pleine confiance. Plus l’on est direct et authentique, plus cela nous sera bénéfique en retour. Plus l’on se dévoile, plus la réalité divine se dévoile. Plus l’on donne, plus l’on reçoit. « Tout laisser — tout recevoir », dira plus tard Maître Eckhart [2]

dzogchentoday-The.Friend.of.Good.3

Dans tous ces cas, il s’agit de communauté – d’une forme de vie commune (koinos bios). Cela constitue un point fondamental concernant ces maîtres et leurs élèves : vivre ensemble. Comme les philosophes grecs, rabbins et abbés vivent avec ceux qui reçoivent et mettent en pratique leurs enseignements. C’est par l’exemple et l’imitation que l’on se perfectionne, par la présence de celui qui s’est uni à Dieu que l’on apprend.

C’est encore cette figure du maître, de l’abbé, que l’on trouve de nos jours dans les monastères d’Europe – et celui-ci n’est pas en opposition avec le prêtre ou les évêques (clergé régulier ou séculier). Cependant, comme dans presque toutes les traditions, un subtil équilibre doit être trouvé entre, d’un côté, les grandes institutions qui privilégient souvent l’étude et les complexes rituels collectifs, et d’un autre côté, la vie contemplative, plus souvent le fait de pratiquants solitaires ou en famille.

De tels guides se trouvaient également dans le christianisme byzantin qui donnera le christianisme dit “orthodoxe”. On y voit fleurir parmi les plus grands théologiens et contemplatifs chrétiens tels Grégoire de Nysse, Basile de Césarée ou Grégoire de Nazianze, qui vivaient en Cappadoce, dans l’actuelle Turquie. Ils n’ont rien à envier à leurs frères Alexandrins d’Egypte — Philon, Clément, Origène ou Evagre —, d’autres maîtres chrétiens très importants dans le développement et la transmission de cette tradition.

Evagre le Pontique théorisera les expériences spirituelles des contemplatifs du désert. Il est un chaînon essentiel dans le développement des monastères en Occident. Dépouillement de toute forme dans la prière en vue de la contemplation, concentration et impassibilité de l’âme face aux pensées perturbatrices, symptômes des maladies de l’esprit, Evagre met en place une voie graduelle dans le développement du pratiquant. Il est comme l’archétype de ce qu’un “maître” deviendra dans le christianisme exposant à ses frères et disciples les grands principes de la voie spirituelle, donnant des conseils très concrets et proposant des exercices à mettre en pratique.

Si nous nous tournons plus à l’Est, se déploie le christianisme syriaque dit « nestorien ». La Perse devient aussi chrétienne, et la Chine voit les premières missions arriver dès le VIIIe s. ! Le christianisme syriaque de l’Eglise d’Orient et ses maîtres spirituels s’inspireront également d’Evagre : Jean de Dalyatha, Joseph Hazzaya ou Babaï le Grand [3] . Ce sont en tous cas ces maîtres spirituels qui maintinrent vivante dans ces lieux la succession apostolique et rendirent par là possible l’accès à Dieu.

La Perse antique que nous venons d’évoquer est quant à elle sujette à tous les fantasmes. Son prophète Zarathoustra (longtemps dénommé Zoroastre) fascine. Déjà les anciens Grecs pensaient tenir leurs plus précieuses doctrines de ce sage et de ses successeurs, les magoi (d’où l’on tirera le nom de « magiciens »). Du Zoroastrisme et du Mazdéisme, et de leurs maîtres et enseignants, nous ne savons pas grand chose hormis par leur textes, l’Avesta et ses fameux Gāthās (datés d’environ – 2000 à – 1700 av. J.-C.). Nous pouvons toujours fantasmer…

Mais l’essentiel n’est-il pas pour aujourd’hui de revenir à ce qui demeure bien actif et vivant en matière de maître et de transmission spirituelle — outre le judaïsme ; à savoir la tradition islamique ? Ce sera alors pour le prochain épisode…

 

[1] Voir Francis Tiso, Rainbow Body and Resurrection, 2016 (traduction française à paraître aux éditions Vues de l’esprit, 2024)     BACK

[2] Sermons allemands, comm. et trad. R. Schürmann     BACK

[3] Robert Beulay, La lumière sans forme. introduction à la mystique syro-orientale, éditions de Chevetogne, 1987

 

[DISPLAY_ULTIMATE_PLUS]

Abonnez-vous à notre Newsletter

Abonnez-vous pour recevoir les dernières nouvelles, changements et les tout derniers articles de Dzogchen Today!

Plus d’articles