Qu’est-ce que la « tradition » du Dzogchèn ?

dzogchentoday-Damien-Brohon

Écrit par Damien Brohon

Damien Brohon est un artiste, un enseignant et un auteur. Il étudie et pratique le Bouddhisme et le Dzogchèn depuis 30 ans.

Blog | Culture et traditions | Dzogchèn Introduction générale | Les bases du Dzogchèn

Dans cet article, Qu’est-ce que la « tradition » du Dzogchèn ?, Damien Brohon parle des traditions et en particulier de celle du Dzogchèn.

Qu’est-ce qu’une « tradition » et qu’est-ce que la « tradition » du Dzogchèn ?

Mais au fait… d’où viennent ces enseignements ? Pour expliquer leur origine on parle de la « tradition » du Dzogchèn. Comment comprendre ce terme de tradition ? Il ne sonne pas très moderne, non ?

Le mot « tradition » provient du latin traditio, du verbe tradere, qui signifie : « transmettre » ou « confier quelque chose à quelqu’un ». Cette expression nous renvoie au cœur de l’expérience humaine.  Il est question de mots, de gestes ou de silences qui transmettent un savoir-faire artisanal ou une certaine compréhension du monde. Nous avons tous tellement appris de cette manière-là ! C’est par exemple de cette manière que nous avons commencé à apprendre notre langue maternelle.

Il existe ainsi toutes sortes de traditions. Le Dzogchèn est une tradition contemplative. Là aussi nous pouvons avoir recours à l’étymologie. Le mot « contemplation » vient du verbe latin, contemplor, « regarder attentivement », formé sur le suffixe cum et le substantif templum. Le templum est ce rectangle tracé dans le ciel par le bâton de l’augure pour focaliser l’attention scrupuleusement sur le réel, en l’occurence sur le vol des oiseaux, lu comme manifestation des intentions divines. Ce terme désigne également, dans les mondes grecs et romains, la base du podium délimitant l’espace sacré au sol faisant de la terre le miroir du ciel. Contempler c’est ainsi s’ouvrir à une vision plus vaste et plus complète du réel.

Une tradition contemplative transmet donc la possibilité de renouveler radicalement son regard. Elle nous propose de prendre conscience de notre manière de voir et de vivre jusqu’à découvrir ce qui excède infiniment nos représentations ordinaires, ce que les traditions contemplatives nomment toutes à leur manière : Dieu, le Brahman, le Tao ou Dzogchèn. Ce dernier terme signifie grande perfection ou grande complétude, cette expression pointant vers la nature ultime ­- pure et parfaite – de notre esprit.

Pour parler plus spécifiquement de la tradition du Dzogchèn, à l’origine de sa transmission se trouve le Bouddha primordial, Kuntuzangpo. Littéralement : le Tout excellent. Il n’a jamais dévié de cette reconnaissance. Il symbolise aussi le fait que notre propre nature n’a, elle non plus, jamais été altérée.

Une carte n’est pas le territoire

La connaissance qui nous est ici proposée ne peut se faire qu’à la première personne, de manière directe, intuitive et sans médiation conceptuelle. Bien sûr, des connaissances à la troisième personne (des idées justes sur la réalité) sont nécessaires dans le cheminement de chacun mais elles s’effacent in fine devant une évidence libératrice vécue directement (l’accès à la réalité elle-même, au-delà de toute idée). C’est l’histoire bouddhiste, reprise depuis par la culture contemporaine) du sage qui regarde la lune tandis que l’idiot regarde le doigt qui désigne l’astre nocturne. Nous pourrions aussi évoquer l’expression, souvent citée, d’Alfred Korzybski : Une carte n’est pas le territoire.

 

L’accès à la lune, au territoire, à l’absolu ne peut se faire que par quelqu’un qui transmet l’évidence vécue de sa découverte.  Elle est cette rencontre non pas intersubjective (de sujet à sujet), mais intrasubjective[1] où les sujets – maître et disciple – partagent une même connaissance directe de l’absolu. C’est là qu’ils se rencontrent et que la transmission se produit. La vitalité d’une tradition réside ainsi dans sa capacité à porter effectivement cette réalisation. Il faut pour cela que ses représentants, qu’ils soient enseignants reconnus ou quidams aux qualités spirituelles cachées aient effectivement vu directement et de manière stable la nature de l’esprit. Il est nécessaire que ses textes, ses pratiques et ses rituels offrent un accès direct au cœur de notre être.

L’origine de la tradition

C’est là que le mot de tradition prend tout leur sens. Il signifie le précieux et émouvant témoignage du passage, si humain et si au-delà de l’humain, de ce feu sacré, de génération en génération. La tradition n’est pas le culte des cendres, mais la préservation du feu nous dit Gustav Malher[2].

Pour parler plus spécifiquement de la tradition du Dzogchèn, à l’origine de sa transmission se trouve le Bouddha primordial, Kuntuzangpo. Littéralement : le Tout excellent. Il n’a jamais dévié de cette reconnaissance. Il symbolise aussi le fait que notre propre nature n’a, elle non plus, jamais été altérée. À partir de lui partent deux grandes traditions contemplatives : celle du bön, qui est tibétaine, autochtone, et celle du bouddhisme dit nyingmapa venu principalement d’Inde. Des maîtres humains, incarnés dans le temps et dans l’espace se manifestent : Tapihritsa pour le bön et Garab Dorje pour les nyingmapas et c’est le début de cette grande aventure qui perdure jusqu’à nos jours.

C’est l’histoire de Shardza Tashi Gyaltsen (1859-1934) qui à l’âge de soixante-quinze ans se comporta de plus en plus librement vis à vis des conventions sociales, aimant à jouer avec des enfants et se manifestant de plus en plus fréquemment sous forme de déités à ces disciples, transmettant ainsi par les mots mais, plus encore, par son être, par son état de réalisation.

C’est l’histoire de Patrul Rinpoché (1808-1887) présentant la nature de l’esprit à Nyoshul Lungtok (1829-1902) dans l’ermitage de Nakchung en lui disant de regarder les étoiles dans le ciel et d’écouter les aboiements des chiens du monastère Dzogchèn : l’absolu ne réside pas quelque part hors du quotidien, il est ce dernier vu tel quel.

C’est votre propre histoire lorsqu’un être qui a pleinement réalisé cette nature lumineuse vous aide à la reconnaître en vous., comme étant le cœur même de votre être. C’était là depuis toujours. Cela devient évident maintenant par la magie de cette transmission si humaine de l’essentiel.

[1] Terme clef in Natalie Depraz, Francisco J. Varela, Pierre Vermesch, À l’épreuve de l’expérience, Bucarest, Zeta Books, 2011.

[2] Citation aussi attribuée à Thomas More.

PLUS D’ARTICLES

Histoires lorsque la lumière décline

Dans "Histoires lorsque la lumière décline", Mila Khyentse se souvient des histoires de son maître racontées pas les autres, des histoires de Jack-o'-lantern.Série : Halloween   Histoires lorsque la lumière décline Cette période de l’année où la lumière décline...

La Base (gzhi)

Cet article "La Base (gzhi)" est le premier d’une nouvelle catégorie pour mieux comprendre les mots et concepts essentiels du Dzogchen.Série : Les termes du Dzogchèn   La Base (gzhi)    Ce terme désigne la base primordiale (tib. yéshi/ye gzhi)* de toute la...

L’appel de la lignée

Dans "L'appel de la lignée" Mila Khyentse parle de la lignée Dzogchèn de son maître Alags Chörten, appelée "la lignée de Diébou".Série : La lignée   L'appel de la lignée   C’était au début des années 2000. Je reçois un jour un message d’un ami Lama qui dit...

La prière qui exauce les souhaits

Dans "La prière qui exauce les souhaits", Mila Khyentse nous transmet une prière écrite par son maître pour les temps difficiles.Série : Les conditions difficiles dans le Dzogchèn   La prière qui exauce les souhaits   Lorsque tout va mal et qu’il n’y a plus...

Le quatrième temps

Dans "Le quatrième temps", Johanne nous parle des trois temps… et du quatrième temps, au-delà du temps.Série : Les conditions difficiles dans le Dzogchèn   Le quatrième temps   J’étais, je suis, je serai… Nous nous rappelons tous de ces leçons de conjugaison...

Une vie de rêve

Dans « Une vie de rêve », Grégoire se demande quelles seraient les bonnes conditions pour pratiquer un chemin spirtuel.Série : Les conditions difficiles dans le Dzogchèn   Une vie de rêve   A quand, enfin, les bonnes conditions ? Nous voulons dire, les...

Speed-Dharma

Dans « Speed-dharma », Denis rappelle que malgré l’impression de famine temporelle,  la patience reste essentielle sur le chemin.Série : Les conditions difficiles dans le Dzogchèn   SPEED-DHARMA   De Gutenberg à l’intelligence artificielle et du train à...

Les sentiers invisibles

Dans "Les sentiers invisibles", Mila Khyentse trace une fine ligne de sable entre la Merveille et la Grande Perfection.Série : L'été de l'ocean   Les sentiers invisibles   Connaissez-vous le mont Saint-Michel ? Bien sûr, qui ne le connaît pas ? On pourrait...

Iceberg

Dans cet article, Mareva nous emmène explorer un iceberg, majestueux au dessus comme au-dessous de l’eau et de la même nature que l’océan.Série : L'été de l'océan   Iceberg   L'iceberg flotte au milieu de l’océan. Un glaçon géant, une sculpture de glace, un...

Une vigilance aussi fine que du sable

Dans cet article, Paul nous propose d’envisager que notre devenir est visible à tout instant en regardant ce qui se joue dans nos consciences.Série : L'été de l'océan   Une vigilance aussi fine que du sable   À examiner tous les systèmes de pensée, je peux...

Abonnez-vous à notre Newsletter

Abonnez-vous pour recevoir les dernières nouvelles, changements et les tout derniers articles de Dzogchen Today!