Qu’est-ce que la « tradition » du Dzogchèn ?

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Écrit par Damien Brohon

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Dans cet article, Qu’est-ce que la « tradition » du Dzogchèn ?, Damien Brohon parle des traditions et en particulier de celle du Dzogchèn.

Qu’est-ce qu’une « tradition » et qu’est-ce que la « tradition » du Dzogchèn ?

Mais au fait… d’où viennent ces enseignements ? Pour expliquer leur origine on parle de la « tradition » du Dzogchèn. Comment comprendre ce terme de tradition ? Il ne sonne pas très moderne, non ?

Le mot « tradition » provient du latin traditio, du verbe tradere, qui signifie : « transmettre » ou « confier quelque chose à quelqu’un ». Cette expression nous renvoie au cœur de l’expérience humaine.  Il est question de mots, de gestes ou de silences qui transmettent un savoir-faire artisanal ou une certaine compréhension du monde. Nous avons tous tellement appris de cette manière-là ! C’est par exemple de cette manière que nous avons commencé à apprendre notre langue maternelle.

Il existe ainsi toutes sortes de traditions. Le Dzogchèn est une tradition contemplative. Là aussi nous pouvons avoir recours à l’étymologie. Le mot « contemplation » vient du verbe latin, contemplor, « regarder attentivement », formé sur le suffixe cum et le substantif templum. Le templum est ce rectangle tracé dans le ciel par le bâton de l’augure pour focaliser l’attention scrupuleusement sur le réel, en l’occurence sur le vol des oiseaux, lu comme manifestation des intentions divines. Ce terme désigne également, dans les mondes grecs et romains, la base du podium délimitant l’espace sacré au sol faisant de la terre le miroir du ciel. Contempler c’est ainsi s’ouvrir à une vision plus vaste et plus complète du réel.

Une tradition contemplative transmet donc la possibilité de renouveler radicalement son regard. Elle nous propose de prendre conscience de notre manière de voir et de vivre jusqu’à découvrir ce qui excède infiniment nos représentations ordinaires, ce que les traditions contemplatives nomment toutes à leur manière : Dieu, le Brahman, le Tao ou Dzogchèn. Ce dernier terme signifie grande perfection ou grande complétude, cette expression pointant vers la nature ultime ­- pure et parfaite – de notre esprit.

Pour parler plus spécifiquement de la tradition du Dzogchèn, à l’origine de sa transmission se trouve le Bouddha primordial, Kuntuzangpo. Littéralement : le Tout excellent. Il n’a jamais dévié de cette reconnaissance. Il symbolise aussi le fait que notre propre nature n’a, elle non plus, jamais été altérée.

Une carte n’est pas le territoire

La connaissance qui nous est ici proposée ne peut se faire qu’à la première personne, de manière directe, intuitive et sans médiation conceptuelle. Bien sûr, des connaissances à la troisième personne (des idées justes sur la réalité) sont nécessaires dans le cheminement de chacun mais elles s’effacent in fine devant une évidence libératrice vécue directement (l’accès à la réalité elle-même, au-delà de toute idée). C’est l’histoire bouddhiste, reprise depuis par la culture contemporaine) du sage qui regarde la lune tandis que l’idiot regarde le doigt qui désigne l’astre nocturne. Nous pourrions aussi évoquer l’expression, souvent citée, d’Alfred Korzybski : Une carte n’est pas le territoire.

 

L’accès à la lune, au territoire, à l’absolu ne peut se faire que par quelqu’un qui transmet l’évidence vécue de sa découverte.  Elle est cette rencontre non pas intersubjective (de sujet à sujet), mais intrasubjective[1] où les sujets – maître et disciple – partagent une même connaissance directe de l’absolu. C’est là qu’ils se rencontrent et que la transmission se produit. La vitalité d’une tradition réside ainsi dans sa capacité à porter effectivement cette réalisation. Il faut pour cela que ses représentants, qu’ils soient enseignants reconnus ou quidams aux qualités spirituelles cachées aient effectivement vu directement et de manière stable la nature de l’esprit. Il est nécessaire que ses textes, ses pratiques et ses rituels offrent un accès direct au cœur de notre être.

L’origine de la tradition

C’est là que le mot de tradition prend tout leur sens. Il signifie le précieux et émouvant témoignage du passage, si humain et si au-delà de l’humain, de ce feu sacré, de génération en génération. La tradition n’est pas le culte des cendres, mais la préservation du feu nous dit Gustav Malher[2].

Pour parler plus spécifiquement de la tradition du Dzogchèn, à l’origine de sa transmission se trouve le Bouddha primordial, Kuntuzangpo. Littéralement : le Tout excellent. Il n’a jamais dévié de cette reconnaissance. Il symbolise aussi le fait que notre propre nature n’a, elle non plus, jamais été altérée. À partir de lui partent deux grandes traditions contemplatives : celle du bön, qui est tibétaine, autochtone, et celle du bouddhisme dit nyingmapa venu principalement d’Inde. Des maîtres humains, incarnés dans le temps et dans l’espace se manifestent : Tapihritsa pour le bön et Garab Dorje pour les nyingmapas et c’est le début de cette grande aventure qui perdure jusqu’à nos jours.

C’est l’histoire de Shardza Tashi Gyaltsen (1859-1934) qui à l’âge de soixante-quinze ans se comporta de plus en plus librement vis à vis des conventions sociales, aimant à jouer avec des enfants et se manifestant de plus en plus fréquemment sous forme de déités à ces disciples, transmettant ainsi par les mots mais, plus encore, par son être, par son état de réalisation.

C’est l’histoire de Patrul Rinpoché (1808-1887) présentant la nature de l’esprit à Nyoshul Lungtok (1829-1902) dans l’ermitage de Nakchung en lui disant de regarder les étoiles dans le ciel et d’écouter les aboiements des chiens du monastère Dzogchèn : l’absolu ne réside pas quelque part hors du quotidien, il est ce dernier vu tel quel.

C’est votre propre histoire lorsqu’un être qui a pleinement réalisé cette nature lumineuse vous aide à la reconnaître en vous., comme étant le cœur même de votre être. C’était là depuis toujours. Cela devient évident maintenant par la magie de cette transmission si humaine de l’essentiel.

[1] Terme clef in Natalie Depraz, Francisco J. Varela, Pierre Vermesch, À l’épreuve de l’expérience, Bucarest, Zeta Books, 2011.

[2] Citation aussi attribuée à Thomas More.

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