Un pas devant l’autre…

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Écrit par Denis Martin

Denis est juriste et diplômé en protection de l’enfant, engagé depuis de nombreuses années dans la défense des droits sociaux et humains. Titulaire d’un postgrade en écologie et sciences de l’environnement, Denis contribue également au développement du site de La Sauveté.

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Dans Un pas devant l’autre, Denis confronte sa quête d’expériences avec les enseignements de grands maîtres contemporains du Dzogchèn.

Série : Le chemin du Dzogchèn

 

Un pas devant l’autre…

 

« Un pas devant l’autre..

                                                *… en laissant les expériences derrière nous ».*

Pris dans l’engrenage de ma recherche d’expériences « fondatrices » (qui marquent l’entrée ou un basculement fondamental sur le chemin), j’en suis venu à questionner mes tendances et attentes vis-à-vis d’une telle quête sur le chemin proposé par le Dzogchèn. C’est ainsi que je me suis replongé dans les enseignements de deux grands maîtres contemporains du Dzogchèn pour retrouver un peu de clarté. Voici ce que je souhaite partager avec vous sur un ton faussement assuré..

…mes tendances et attentes vis-à-vis d’expériences fondatrices

(l’emploi du « nous » est une figure de style)

N’avons-nous pas toutes et tous ressenti à un moment donné de notre existence limitée par un corps et un espace-temps, une aspiration à la transcendance ? Cette quête d’expériences profondes semble répondre à un besoin intrinsèque de l’être humain de s’élever au-delà de soi-même et de sa réalité immédiate, de toucher quelque chose de plus vaste, d’absolu.

L’expérience spirituelle, qu’elle prenne la forme d’une sensation intense, d’une vision ou d’un état transcendant, est souvent recherchée pour sa capacité à procurer un sentiment d’union, de paix profonde ou d’éveil à une réalité supérieure.

Dans le contexte actuel, cette quête d’expériences de transcendance peut aisément se satisfaire des propositions multiples et variées au gré de nos aspirations du moment. Certaines personnes vont être plus attirées par des voies spirituelles traditionnelles ou, au contraire, par des approches modernes simplifiées. Une voie spirituelle comme le Dzogchèn, qui offre une richesse remarquable de pratiques de méditation, de visualisation et d’autres méthodes nous permettant de vivre diverses expériences, est certainement inspirante.

« C’est ainsi que nous arpentons le chemin (graduel) du Dzogchèn « Un pas devant l’autre… en laissant les expériences derrière nous » jusqu’à ce que l’expérience directe de notre propre nature, l’état de Grande Perfection, se présente à nous. »

Peu importe la voie choisie, nous allons à un moment donné du chemin vouloir éprouver certaines expériences, si possible fondatrices. On aurait d’ailleurs tendance à penser que ces expériences doivent être vécues le plus vite possible, sans quoi notre pratique spirituelle serait peu efficace. Cela est d’autant plus prégnant que les témoignages de telles expériences affluent de toutes parts.

Faute d’expérience transcendante malgré des années de pratique spirituelle, nous pourrions alors être tentés d’aller voir ailleurs ou de cumuler différentes approches. A l’inverse, on pourrait aussi se complaire dans des expériences vécues et penser avoir déjà atteint un haut degré de sagesse et de réalisation.

Dans tous les cas, focalisé sur les expériences, l’on oublierait parfois de se (re-)poser la question (et d’y revenir régulièrement) de la motivation profonde qui nous amène à arpenter un chemin spirituel.

…tentatives d’éclaircissement, accompagnées d’extraits d’enseignements de deux maîtres du Dzogchèn tibétain du XXème siècle que sont Kyabjé Dudjom Rinpoché et Namkhai Norbou Rinpoché.[1]

Lorsque l’on se réfère au chemin (graduel) de la Grande Perfection, on évoque souvent le fait qu’il n’est pas une voie dogmatique ou de croyance en une réalité transcendante extérieure et que, pour l’arpenter, il est nécessaire d’appliquer un certain nombre de « techniques » (méditation, visualisation, etc.) qui nous amèneront progressivement à vivre des expériences fondamentales.

Cependant, les enseignements Dzogchèn insistent également sur l’importance de l’étude et de la réflexion en tant que socle essentiel à la pratique. Il semblerait donc que d’appliquer des méthodes et de vouloir « pratiquer » le Dzogchèn sans les fondations que sont les enseignements, l’observation et une bonne compréhension du fonctionnement de notre esprit, serait peu opérant.

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A l’inverse, rester figés dans des connaissances intellectuelles, en commentant inlassablement notre pratique et nos expériences n’apportera pas plus de réalisation. Comme l’enseigne clairement Namkhaï Norbou Rinpoché, « on peut avoir une diversité infinie de types d’expériences liées à la pratique, mais si elles demeurent au niveau du jugement mental elles ne nous conduisent pas vers la vraie connaissance, mais deviennent en soi des obstacles ».

Bien que les expériences ponctuent le chemin, constituant des repères nécessaires, elles ne doivent pas pour autant être un but en soi. En s’y attachant, nous pouvons devenir dépendants de sensations ou de manifestations spécifiques, confondant la voie elle-même avec des états émotionnels ou mentaux temporaires. Namkhaï Norbou Rinpoché nous décrit de tels états sans détour : « Si un pratiquant reste absorbé durant des jours et des jours dans un état de plaisir, ou de vide, sans maintenir la présence de la contemplation, c’est comme s’endormir dans une expérience. Ceci se produit quand les expériences sont prises pour notre vraie destination ».

Les enseignants Dzogchèn mettent souvent en garde contre ces états de confusion, et insistent aussi régulièrement sur le fait que les expériences sont des phénomènes transitoires, et donc illusoires. Même lorsque Dudjom Rinpoché se réfère aux trois expériences fondamentales de félicité, clarté et absence de pensée, il nous rappelle que : « (…) si l’on est capable de ne pas s’attacher à ces expériences dites supérieures, plus qu’à un cheveu, sans rien attendre, sans être déçu, alors une telle attitude tranchera les déviations ».

La saisie intellectuelle de la pratique et l’attachement à l’expérience sont donc deux écueils importants sur le chemin auxquels nous devons rester attentifs. Lorsque notre vigilance commence à s’estomper, nous pouvons alors la raviver en nous remémorant les allégories éclairantes de Dudjom Rinpoché à ce propos : « les enseignements de la Grande Perfection nous disent :  la compréhension est comme une pièce rapportée qui, un jour, tombera. L’expérience est comme le brouillard qui disparaîtra de lui-même ».

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C’est ainsi que nous arpentons le chemin (graduel) du Dzogchèn « Un pas devant l’autre… en laissant les expériences derrière nous » jusqu’à ce que l’expérience directe de notre propre nature, l’état de Grande Perfection, se présente à nous.

L’introduction à la nature primordiale de notre esprit est donc bien l’expérience fondatrice dans la tradition Dzogchèn. Dès cette « rencontre dans l’instant [de sa] nature essentielle » , nous basculons de l’état d’ignorance à la confiance inébranlable en notre propre nature, de la compréhension intellectuelle à la connaissance primordiale, de l’analyse à l’expérience directe. Ce point de bascule est une fois de plus magnifiquement illustré par Dudjom Rinpoché : « (…) à un moment ou à un autre, à travers la dévotion et autre », l’expérience se transformera en réalisation et vous observerez directement la conscience éveillée comme un chapeau sur votre tête* ».

N’oublions toutefois pas qu’une telle expérience se produit lors de conditions bien particulières, lorsque nous sommes prêt·e·s à recevoir l’éclair de la compassion !

 

 

[1] –Dudjom Rinpoché, La grande perfection ou Dzogchen, Instructions spirituelles. Traduit du tibétain par Patrick Mandala. Éd. Les Deux Océans, Paris 2020. (Extraits cités, pages 99-100) et –Namkhaï Norbu Rinpoché, Dzogchen, L’état d’auto-perfection. Traduit de l’italien par Arnaud Pozin. Éd. Les deux océans, Paris 2000. (Extraits cités, pages 82-83)   BACK  

 

 

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