Plongée dans les abysses luminescentes… de l’Esprit

Écrit par Denis Martin
Blog | Dzogchèn Témoignages | L'aventure Dzogchèn
Dans cet article, Denis nous emmène là où, même au cœur de l’obscurité silencieuse, la compassion universelle continue à se manifester.
Série : L’été de l’océan
Plongée dans les abysses luminescentes… de l’Esprit
L’été est de retour, et comme chaque année, je me rends dans notre maison familiale dans le Sud de l’Italie. Quelle joie de retrouver leur délicieuse cuisine et leurs vins gorgés de soleil ! Je me remémore ces années de bonheur où mon grand-père nous emmenait récupérer la nasse qu’il avait posée la veille. À chaque fois, la pêche était miraculeuse. Il y avait aussi les sorties en bateau pour explorer la côte et ces innombrables journées de farniente à la plage.
Emporté malgré moi par ce flot de souvenirs, voguant entre nostalgie douce et solastalgie, je me réveille de la sieste dans mon vieux hamac délavé. Le décor a changé. Les pins, jadis protecteurs, paraissent épuisés, incapables d’arrêter la fournaise. L’air est plus lourd, presque étouffant. Pris de vertige, je prends conscience que, toutes ces années passées au bord de la Méditerranée, je les ai vécues en surface, dans la quiétude du familier. Comme une évidence, je réalise alors qu’il est temps d’explorer d’autres dimensions de la réalité, d’aller plus en profondeur.
Et soudain, ce vertige devient élan : l’appel d’une plongée dans les abysses inconnues de l’océan !
“Par instants, la perception directe de la vacuité de la manifestation apparaît comme un éclair dans l’obscurité. Un basculement s’opère, on perçoit avec clarté que ce que l’on croyait extérieur n’est que projection de l’esprit, sans existence propre. ”
Inaccessible à l’esprit dispersé ou attaché, il me faut d’abord apprendre auprès d’un plongeur qualifié comment cultiver l’attention, aiguiser la vision et maîtriser le souffle. Suivant méticuleusement ses instructions, et m’exerçant à diverses pratiques d’approche, je me sens de plus en plus en confiance pour m’immerger dans les vastes étendues de la plaine abyssale.
Largement inexplorées, ses profondeurs regorgent de mystères. Le yogi, plongeur solitaire, doit laisser sur le rivage ses repères et représentations mentales pour affronter de nouvelles dimensions.
Au fil de cette plongée, je réalise que même dans l’intériorité des fonds marins les manifestations sont incessantes, la vie et les phénomènes géophysiques y demeurent remarquablement actifs. Au sein de cette dynamique continue, je m’égare, fasciné par ces êtres bioluminescents, translucides, qui se nourrissent de « neige marine ». Il m’arrive également d’être totalement tétanisé suite à un séisme marin qui vient bouleverser mon apparent calme mental. A d’autres moments encore, des créatures effrayantes se présentent à moi : le poisson-ogre Anoplogaster cornuta aux dents pointues tellement disproportionnées qu’il n’arrive même pas à fermer la bouche, ou encore la baudroie épineuse Caulophryne jordani qui chasse à l’affût grâce à ses filaments lui permettant de détecter le moindre mouvement. Je me sens traqué, exaspéré par ces multiples représentations névrotiques, et invoque tous les dieux pour pouvoir remonter à la surface, oubliant les instructions essentielles de mon Divemaster.
Puis, une à une, ces bulles d’apparente réalité éclatent dans l’immensité de l’océan et se dissolvent dans leur propre nature vide et lumineuse. Nous reliant à nouveau à notre enseignant et reprenant ses instructions, nous retrouvons l’élan et la confiance pour poursuivre notre immersion à travers la vaste plaine abyssale. S’étendant sur plus de 307 millions de km2, il nous faut garder la vigilance et nous armer de patience. Nombreux sont ceux qui témoignent de leur chute dans les fosses sous-marines, prisonniers pendant de longues années d’un huis clos en eau trouble…
Plus l’absorption devient profonde, plus les repères se désagrègent, la substantialité du corps se fait plus discrète, le silence prend place. C’est le temps de la contemplation. Par instants, la perception directe de la vacuité de la manifestation apparaît comme un éclair dans l’obscurité. Un basculement s’opère, on perçoit avec clarté que ce que l’on croyait extérieur n’est que projection de l’esprit, sans existence propre. De plus en plus fréquentes, ces expériences directes finissent par se stabiliser et nous réalisons alors que l’éclat lumineux de l’esprit se révèle dans toute manifestation, même dans les ténèbres profondes des abysses. Porté par le flot de l’évidence primordiale, nous nous engageons sur les dorsales océaniques parés pour le « franchissement du pic », là où la matière est transmuée en lumière…
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