La pensée, mère de l’action ?
Written By Mila Khyentse
Blog | Et moi dans tout ça ?
Ce second article de la série Le Sens de l’Action, « La pensée, mère de l’action ? » écrit par Mila Khyentse, traite de l’origine de l’action.
« La pensée, mère de l’action ? »
Nous avons vu avec le premier article de cette série, « Action ou vérité ? », que la mise en branle de l’action demeure dans la simplicité.
Développer une action, faire quelque chose, nous est généralement naturel, excepté lorsque nous complexifions le processus, lorsque nous brouillons l’action par un maëlstrom de pensées contradictoires qui, au contraire, nous empêchent de passer à l’action. D’ailleurs, bien souvent dans notre société, nous mélangeons le fait de penser l’action et l’action elle-même. Penser l’action est le prélude à la mise en branle, mais ce n’est pas l’action.
Penser l’action est le sens, ou son absence, que l’on donne à l’acte. Pour la tradition de la Grande Perfection ou celle du Bouddhisme, qui sont d’ailleurs souvent parallèles, la pensée de l’action est appelée « l’intention ». C’est le sens de l’action. Le pourquoi de l’acte. Ce n’est donc pas compris comme une simple pensée à propos d’un acte, mais véritablement la pensée fondatrice de l’acte, son essence-même ou son origine. Dans un vocabulaire plus moderne, on parlerait plus volontiers de « vision ».
» Si l’intention que j’ai à la base est claire, posée, réfléchie, l’acte qui va en découler le sera tout autant. De même, plus mon intention est vaste, plus grande sera mon action. «
Cette intention est ce qui va déterminer la mise en branle de l’action : si un acte est porté par une réflexion profonde, il a de fortes chances de se déployer de la façon dont il aura été envisagé. Par contre, si un acte est simplement irréfléchi, il est une réaction à une action et nous sommes dans une situation où l’intention n’est pas bien définie et où les conséquences de l’acte nous paraissent aléatoires. C’est la même chose lorsqu’il n’y a qu’une réflexion discursive par rapport à une action à mener : cette dernière n’aboutit pas car la pensée n’est pas profonde.
Que signifie alors une réflexion profonde de l’acte ?
C’est celle qui permet de prendre en compte tous les facteurs qui régissent la mise en action. Il a déjà été question de la pensée (discursive), mais elle n’agit jamais seule : son alter ego l’émotion est présente aussi. Avec elles, vient souvent la réaction ou la sensation – par rapport à un acte, une pensée ou une situation donnée – qui va déterminer si cet acte est agréable, désagréable ou neutre.
En fait, pour ces traditions, un acte n’existe pas en lui-même car il est issu d’une chaîne de facteurs que l’on appelle les douze liens interdépendants : l’ignorance, les formations karmiques, la conscience, le nom et la forme, les six sphères de perception, le contact, la sensation (agréable, désagréable ou neutre), la soif ou le désir, la saisie (de l’existence), le devenir, la naissance, et enfin la dégénérescence et la mort.
Un acte, une action, est donc toujours pris dans un processus : il n’est pas libre. Il dépend des conditions et est influencé par la façon dont je vois le monde et dont je le ressens.
Prenons un exemple. Je souhaite agir pour la planète car je sens que nous vivons une période critique et qu’il est plus que temps de réagir. Cette simple pensée ou phrase, préliminaire à l’action, porte en elle tout ce que nous venons d’évoquer : point de vue sur le monde, intention (vision), émotion (sentiment d’urgence et peut-être même peur), résolution (souhait d’agir), etc. C’est donc cela le sens de l’action : percevoir ce qui se cache sous le simple constat de la mise en branle. SI nous parvenons à percevoir cela, nous ne sommes désormais plus dans la réaction simpliste, mais nous réalisons pourquoi nous souhaitons agir et nous pouvons alors orienter le résultat de l’action. En d’autres termes, si je suis confus, mon action sera confuse. Si je suis clair, telle sera mon action.
Néanmoins, le chemin qui nous permet de réaliser le sens de l’action ne s’arrête pas là pour la Grande Perfection. En effet, là où je pense agir, il n’y a en fait nulle action. Il n’y a qu’une projection, qu’un rêve infini dans lequel alternent pensées, actions, émotions, sensations… sans cesse. Si nous élargissons notre vision et que nous essayons de nous rappeler de chacune de nos actions, nous faisons le constat que c’est impossible. Tous nos actes disparaissent de notre mémoire au fur et à mesure que le temps passe, comme s’ils n’avaient jamais existé. Comme dans un rêve sans fin…
Si je souhaite mettre fin à ce rêve, je dois aller encore plus loin dans la découverte de l’origine de l’acte, et c’est à ce moment-là qu’il est nécessaire de me doter d’une « intention noble ».
Si l’intention que j’ai à la base est claire, posée, réfléchie, l’acte qui va en découler le sera tout autant. De même, plus mon intention est vaste, plus grande sera mon action. Cette intention noble va donner naissance à « l’action noble », qui est une dimension universelle de l’action. Cela va me permettre de développer une vision bien plus vaste et profonde.
Ainsi, l’action noble est guidée par la volonté de faire le bien des êtres, sans distinction entre eux. Dans le Dzogchèn, on associe toujours l’action et la compassion, le faire et le don, l’activité et la bienveillance.
L’intention vaste est la base d’une action sans commune mesure avec celle motivée par le désir égoïste, la peur ou la confusion. Elle est le socle de la reine des actions : l’activité éveillée, dont nous parlerons dans le prochain article.
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