Mr Peur-de-tout et Mr Peur-de-rien
Écrit par Johanne Bernard
Blog | Esprit et Dzogchèn | Philosophie dzogchèn
Dans cet article « Mr Peur-de-tout et Mr Peur-de-rien », Johanne nous raconte une histoire de tendances karmiques, de poissons… et d’océan primordial.
Mr Peur-de-tout et Mr Peur-de-rien
L’océan, immense… et juste au-dessus, un ciel sombre, où les nuages s’amoncellent. Le vent souffle, de plus en plus fort. A la surface de l’eau, les vagues s’agitent : une tempête arrive.
Perdu dans l’immensité de l’océan, un petit bateau, telle une coquille de noix, vogue dans les flots, tant bien que mal.
Debout à l’avant du bateau, Monsieur Peur-de tout et Monsieur Peur-de rien, partis en croisière, scrutent l’horizon, de plus en plus noir. Un éclair tonne au loin. « Il faut rebrousser chemin, le bateau ne va jamais tenir », dit Monsieur Peur-de-tout. « La tempête va passer, il suffit d’attendre. Rien ne nous arrivera, on en a vu d’autres… », répond Monsieur Peur-de-rien. « Tout est impermanent. Tout peut arriver. », argue Monsieur Peur-de-tout. « Tout est illusoire, quelle importance. », rétorque Monsieur Peur-de-rien.
“… tous vivent alors, pour la première fois, une même et unique expérience : l’arrêt momentané de l’illusion d’eux-mêmes.”
Un second éclair déchire le ciel, s’abattant à quelques mètres à peine de la coque du bateau. Sous l’onde de l’impact, une fissure apparaît dans le bois. Voyant l’eau s’infiltrer dans la brèche, Monsieur Peur-de-tout panique : « ça y est, c’est la fin !». Se précipitant pour combler la fissure, il trébuche, et dans sa chute, agrandit encore plus le trou. Monsieur Peur-de-rien secoue la tête l’air navré, puis retourne à son observation du ciel, faisant un savant calcul pour déterminer combien de temps la tempête durera encore, lui qui est si certain qu’elle s’arrêtera bientôt. Monsieur Peur-de-tout, voyant l’eau monter de plus en plus, et essayant d’écoper avec les moyens du bord, pense à ses proches, à tous ceux qu’il aime. Peut-être qu’il ne les reverra jamais ! Monsieur Peur-de-rien, passablement agacé, répète « Tout ce qui apparaît, disparaît, de toute façon. » puis, devant Monsieur Peur-de-tout en train de pleurer, se met, cette fois en colère « Puisque je te dis que la tempête va passer ! ».
« Désir-attachement et colère-aversion reviennent au même, puisque ce sont deux manifestations de la même nature », dit Madame Je-sais-tout, émergeant soudainement de la cale du bateau. « Vous êtes tous les deux, pareils ! ». « Comment le sais-tu ? », dit Madame Je-sais-rien qui émerge derrière elle : « Seule la connaissance directe est valable, tout le reste est ignorance » …
Pris dans leurs conversations, arguant les uns contre les autres, aucun ne se rend compte que le bateau, lentement, se met à couler… La tempête se calme, provisoirement, mais, de l’eau jusqu’au nez, Monsieur Peur-de-rien n’a plus la possibilité de s’en enorgueillir, ni Monsieur Peur-de-tout celle de rétorquer…
Dans l’océan, un banc de poissons voit passer la petite bande en train de se débattre pour rester à la surface, s’accrochant les uns aux autres, continuant à argumenter sur comment survivre maintenant…
« Dommage, ils auraient pu apprendre à nager. », dit le plus jeune des poissons.
« Ils ne connaissent pas leur véritable nature, c’est tout. » répond son congénère.
« Oui, mais pour la connaître, il faut déjà en faire l’expérience » ajoute un troisième.
Le petit groupe, qui continue à s’agiter et à s’enfoncer inexorablement dans l’eau, passe devant le banc de poissons et les entend parler. Stupéfaits, tous se figent, cessant d’un coup tout commentaire de l’esprit. Dans cet instant de saisissement, où désir-attachement, colère-aversion et ignorance se rejoignent en leur base, tous vivent alors, pour la première fois, une même et unique expérience : l’arrêt momentané de l’illusion d’eux-mêmes. Se taisant, ils contemplent à l’unisson leur véritable nature, l’océan primordial… Puis, sans même s’en apercevoir, ils se mettent à leur tour à nager.
« Il n’est jamais trop tard pour prendre le bain de la Grande Perfection… » conclut alors le plus vieux des poissons, se tournant vers les plus jeunes, avec un grand sourire.
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