Le Gourou e(s)t le lampadaire
Écrit par Denis Martin
Blog | Culture et traditions | Dzogchèn Introduction générale
Dans « le Gourou e(s)t le lampadaire », Denis questionne nos représentations souvent figées de la figure du maître, en rappelant que cette rencontre est essentielle sur le chemin de la Grande Perfection.
Série : Le chemin du Dzogchèn
Le Gourou e(s)t le lampadaire sur le chemin
Des idées reçues sur la figure du maître spirituel, on en échange tant dans les lieux dédiés, parfois avec une certaine candeur, qu’au café du coin avec des ami·es qui n’imaginent pas de s’en remettre à quelqu’un d’autre que soi-même.
En ce qui me concerne, en tant que « bon » cheminant des temps modernes, j’oscille généralement entre deux tendances. Celle plutôt passive où le maître représente un idéal de sagesse, de bienveillance et de protection infaillible, confortant l’idée de s’en remettre à une « force » supérieure. Et, à l’inverse, celle imprégnée de la récente désacralisation des figures d’autorité spirituelle qui tend à exclure toute influence extérieure à sa quête personnelle et spirituelle.
Que faire de telles tendances contradictoires lorsque l’on souhaite arpenter un chemin spirituel comme le Dzogchèn sur lequel la figure du maître est essentielle ? Qui plus est quand les termes peu familiers de gourou (guru) ou de lama sont employés pour le désigner. Je l’ignore… tout en étant confiant et, c’est d’ailleurs ce que propose la tradition de la Grande Perfection, de l’importance de questionner sans relâche nos représentations à son sujet et de confronter nos expériences avec celles et ceux qui ont déjà parcouru le chemin…
« Le Gourou peut ainsi être, à un moment donné du chemin, le lampadaire en face de chez soi que l’on percute en tombant à la renverse, nous retrouvant soudainement – au sein de sa puissante luminosité – à observer notre propre nature »
Partant de l’étymologie du mot sanskrit gourou qui signifie « lourd », Dilgo Khyentsé Rinpoché rappelle que le maître est considéré comme étant « chargé de précieuses qualités » et que « tout comme l’or est à la fois lourd et précieux , la perfection du maître fait de lui un être inestimable »[1]. Le terme gourou, qui est resté usuel dans la tradition du Dzogchèn, a d’ailleurs été traduit en tibétain par Lama, qui signifie « insurpassable ». Mila Khyèntsé Rinpoché nous précisait également lors d’un shedra (collège d’études) que cet aspect de pesanteur se rapporte au fait que le maître est « chargé des bénédictions (de la lignée) ».
Bien que ces termes évoquent un grand respect, on nous enseigne dans la Grande Perfection que même si de nombreux maîtres sont considérés pour leurs qualités, la profondeur de leur enseignement et leurs réalisations, ils ou elles ne représenteront pas forcément « le » maître sur le chemin que nous arpentons. Un maître n’est pas le Lama par lui-même, il le sera en fonction des qualités qui pourront être « dévoilées » et, réciproquement, reconnues.
Cette rencontre essentielle et la relation qui en découlera dépendront de multiples facteurs liés à nos besoins, obstacles et liens du passé. Sans cette confluence entre la bénédiction, véritable source de l’activité du maître, et notre authentique aspiration à réaliser notre nature essentielle, aucun processus d’accomplissement ne pourra se mettre en place.
Les différentes dimensions du maître, qu’il s’agisse de la même personne ou non, se révéleront progressivement le long du chemin, en fonction de notre degré d’expérience. Cela nous permettra alors de mieux appréhender la nature de notre relation au maître et les aspirations qui en découleront (à ce propos, lire l’article de Paul: Les qualités d’un disciple selon la tradition).
Le maître peut ainsi être l’enseignant qui transmet la connaissance des textes et des commentaires des maîtres du passé. Il est parfois le guide qui permet de clarifier le chemin, de nous confronter à nos obstacles ou de nous établir dans la confiance. Si les conditions sont réunies, des instructions directes, fondamentales seront transmises. Il y a aussi le maître qui rétablit la vue sur la nature primordiale (qui « restaure les samayas »). Et enfin, le maître qui libère l’esprit, permettant la « rencontre dans l’instant de ta nature essentielle » et que l’on nomme dans la tradition du Dzogchèn, le « Lama racine » (tib. : tsawé lama, rtsa ba’i bla ma).
Il convient aussi de garder à l’esprit que lorsqu’un maître enseigne la Grande Perfection, il transmet avant tout une connaissance directe sur l’état primordial, qui a été expérimentée et portée par toute une lignée de transmission.
Dans la perspective du Dzogchèn, le terme Lama ne se circonscrit par ailleurs pas au maître humain dont on suit les enseignements. Son acception s’étend à toute « capacité » à transmettre le lien à la Nature primordiale. Le Lama peut donc prendre toutes les formes tant qu’il permet la rencontre ou l’actualisation de ce lien.
Ainsi, au fur et à mesure du chemin (qui s’étend généralement au-delà d’une vie), on va réaliser que toutes les manifestations qui se présentent à nous, que nous expérimentons par nos sens, sont les reflets du Lama, permettant à tout instant de rencontrer sa nature essentielle.
Le Gourou peut ainsi être, à un moment donné du chemin, le lampadaire en face de chez soi que l’on percute en tombant à la renverse, nous retrouvant soudainement – au sein de sa puissante luminosité – à observer notre propre nature. A cet instant précis, nos tendances, limites et peurs lâchent et la confiance dans le maître (humain) devient simplement la confiance directe dans la nature primordiale.
En favorisant et préservant ce lien à notre nature essentielle, le maître sera alors omniprésent et demeurera même lorsque tous les phénomènes disparaîtront, laissant place à la libération naturelle, la Grande Perfection.
A (re)lire – notre série sur l’ami de bien :
https://dzogchentoday.org/fr/ami-de-bien-1/
https://dzogchentoday.org/fr/ami-de-bien-2/
[1] Dilgo Khyentse Rinpoché, La fontaine de grâce. La pratique du yoga du maître selon la tradition de l’Essence du cœur de l’immensité, traduction du tibétain Matthieu Ricard, Éd. Padmakara, 1995 (pages 52 et 80). RETOUR
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