La réalité du geste
Écrit par Mila Khyentse
Blog | Esprit et Dzogchèn | Philosophie dzogchèn
Dans “la réalité du geste”, le dernier article de la série sur le geste, Mila Khyentse parle de la nature réelle du geste, de l’action.
La réalité du geste
Après La dynamique du geste et je fais donc je suis, cet article est le troisième de la série « l’esprit du geste ».
Si un geste peut être spontané et s’il peut me définir, qu’en est-il de sa réalité ?
Nous faisons toutes et tous des gestes ; nous avons toutes et tous des actions ; nous donnons toutes et tous un sens à « nos » gestes ou nous nous servons de ces gestes pour donner un sens à la réalité. Cela nous paraît normal, voire anodin, totalement intégré dans notre programme. Nous ne remettons généralement jamais en question la nature même du geste.
Et si, comme nous y invite le Dzogchèn, nous le faisions ?
“Pour ces deux traditions sœurs, la nature réelle du geste est apparente mais non existante.”
Remettre en question la nature de la réalité du geste demande avant tout du recul sur celui-ci et un sens de l’observation direct et aigu. Tout d’abord : que savons-nous d’une action ou d’un geste ? Qu’ils se répètent à l’infini. Si nous prenons une journée type de notre existence, nous voyons que c’est une ribambelle de gestes et d’actions qui se succèdent du matin au soir, et même la nuit. À tel point que l’on ne peut même pas se souvenir des gestes anodins que nous avons fait ce matin, noyés par toutes les gestes suivants de ce même jour. La réalité du geste ? Un peu floutée dans la masse… Donc, ce que je crois être réel l’instant où je le fais, le moment où je le vis, s’estompe rapidement une fois accompli.
Quant au sens que le geste semble porter, le porte-t-il lui-même ? Est-ce mon geste qui porte le sens ou moi qui lui en donne un ? À bien y regarder, je m’aperçois que c’est ma capacité à commenter, mes concepts, qui « fait penser » mon geste, qui lui donne une réalité qu’il n’a peut-être pas à la Base. Ce que je fais est ainsi conditionné par ce que je pense.
Ça, on le sait toutes et tous : je pense à faire, mais je ne fais pas pour penser. La pensée avant le geste donc.
Qu’en est-il alors de la réalité « naturelle », non conditionnée par la pensée, du geste ou de l’action ?
Elle est vacuité, vide d’existence propre.
Empruntons ici au registre des soutras du Mahāyāna, la parole du Bouddha la plus essentielle sur le sujet : « La forme est vide, le vide est forme. Le vide n’est rien d’autre que la forme, la forme n’est rien d’autre que le vide. » [1] Ainsi, pour la tradition bouddhiste, le sens primordial, fondamental, du geste, de l’action, est vide par nature. C’est ça son « sens » véritable : il ne porte pas quelque chose, il n’est pas porté par quelque chose, il n’est pas lié à un soi, comme il n’est pas conditionné par autre chose. Il est libre, pur et spontanément accompli. Il est éveil. C’est ça la nature du geste.
Le Dzogchèn n’est pas en reste :
« L’exemple est celui d’un dessin sur l’eau :
Naturelles, l’émergence et la libération sont ininterrompues ;
Toute émergence étant l’aliment cru de l’évidence primordiale-vacuité,
Tout mouvement est la dynamique du Corps de Réalité souverain,
Sans aucune trace, naturellement pur, ah la la ! » [2]
Pour ces deux traditions sœurs, la nature réelle du geste est apparente mais non existante. N’étant pas existante, elle n’est pas limitée et peut se déployer jusqu’aux confins de l’espace. Étant apparente, sa nature véritable peut être visible par toutes et tous.
C’est l’activité éveillée, le geste, l’action, des grands Êtres d’éveil, les Bodhisattvas.
C’est à ce geste pur et universel auquel on aspire sur le chemin de la Grande Perfection.
[1] https://www.lotsawahouse.org/fr/words-of-the-buddha/heart-sutra BACK
[2] Lire la traduction entière du comité Dzogchen Today! ici : L’enseignement spécial du sage et glorieux souverain. BACK
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