Vivre et mourir à la manière Dzogchèn

UN CONTE DZOGCHÈN

 

 

Écrit par Johanne Bernard

Johanne est scénariste pour le cinéma et la télévision, et auteure. Elle pratique la méditation bouddhiste et le Dzogchèn depuis plus de dix ans.

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Dans cet article, Johanne met en avant que la pratique du Dzogchèn se fait toujours avec nos conditions de vie.
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Dans les hautes montagnes du Tibet, niché au cœur d’une vallée, se trouvait un trésor… un monastère Dzogchèn. Le chemin pour y parvenir était long et difficile, dangereux même. On dit que sur les sentiers perchés dans le vide, beaucoup avaient perdu la vie… Pema, qui venait de la ville, était pourtant déterminé à affronter le froid, la fatigue et le risque de croiser des animaux sauvages : sur place, un poste de cuisinier l’attendait. Pema n’avait pas fait d’études, tout ce qu’il savait, c’était cuisiner les légumes, faire des kabsés, ces fameux beignets frits, et surtout de délicieux momos, ces raviolis tibétains dont raffolait sa mère. Il n’avait pas de hautes ambitions, et, contrairement à son petit frère qui était devenu moine, il n’avait aucune instruction concernant la voie bouddhiste ou Dzogchèn. Alors l’idée même d’être cuisinier dans ce monastère, aux pieds d’un grand maître Dzogchèn le réjouissait.

« Vivre et mourir à la manière Dzogchèn, c’est simplement faire avec les conditions de notre existence. »

La cuisine était rustique et près du foyer, sur les pierres servant de plan de travail, on pouvait voir, l’hiver, des stalagmites se former. Pema avait les doigts gelés. Mais il était heureux. Les moines et le maître Dzogchèn se régalaient avec sa cuisine. Oui, Pema était vraiment heureux, et il se disait qu’un jour, si les conditions le permettaient, il pourrait peut-être même assister à des enseignements… Mais, attirés par le précieux maître, de plus en plus de pratiquants affluaient, et Pema devait faire de plus en plus de kabsés et de momos pour les nourrir. Il fallait cultiver les légumes, aller chercher la viande loin dans les villages et toujours trouver des astuces pour cuisiner en plus grande quantité. Pema n’avait vraiment plus de temps. Il entrapercevait juste parfois le maître qui s’arrêtait devant la fenêtre de sa cuisine et qui, les yeux malicieux, lui souriait tout en pointant son doigt droit sur son cœur. Et cela suffisait à remplir de joie la journée de Pema.

Les années passèrent. Et le visage de Pema s’emplit de rides, ses doigts commencèrent à se déformer à cause de l’arthrose et du froid, mais Pema continuait à cuisiner, gardant l’unique instruction de son maître au cœur.

Un jour, Pema, qui était très vieux, ressentit une très grande fatigue. Il sentait que la mort était proche et il se dit qu’il était temps de demander un enseignement au maître avant de mourir. Alors il se rendit à la porte de la grande salle du temple… mais une cérémonie était en cours et Pema n’osa pas le déranger. Il nettoya alors une dernière fois sa cuisine, pour qu’elle soit bien propre, plia la paillasse qui lui servait de lit, et alla marcher un peu dans le sentier qu’il aimait tant et qui surplombait le monastère, puis, sentant les forces le quitter, il s’allongea au bord du chemin. Là, doucement, il expira son dernier souffle… et il disparut.

Pema ne disparut pas complètement, en fait. Sur le bord du chemin surplombant le monastère, il restait encore ses cheveux, ses ongles, et son tablier de cuisine qu’il ne quittait jamais. Mais son corps, lui n’était plus là. Dans la tradition, on parle d’atteinte du ‘corps d’arc en ciel’.

Le corps d’arc-en-ciel est la plus haute réalisation qui soit dans le Dzogchen. Et Pema l’avait atteinte !… Personne n’avait jamais vraiment fait attention à lui. Pema n’avait jamais assisté à un enseignement. Il ne s’était jamais assis parmi les moines. Mais il avait eu une instruction unique, et l’avait appliquée à chaque instant de sa vie, sans relâche. Il l’avait pratiquée, toute sa vie, en l’intégrant parfaitement dans son activité du quotidien, jusqu’à son dernier souffle.

Mon maître raconte que son maître, Alags Chörten, disait souvent que, comme tout bon pratiquant Dzogchèn, il allait mourir comme un vieux chien, au bord de la route. Alags Chörten était un grand maître Dzogchèn et il a vécu humblement toute sa vie. Pour lui, mourir comme un vieux chien, signifiait que puisque toute la vie a été vécue, au cœur, avec la vue sur la nature de l’esprit, au moment de la mort c’est pareil : rien ne se passe de différent. Comme un vieux chien, on se pose naturellement au bord du chemin et c’est le moment de la mort. Alags Chörten s’est posé un matin d’automne. Comme il l’avait annoncé, il est parti comme un vieux chien… Et alors que pour lui, rien ne se passait, au même moment, une pluie de bénédictions est tombée sur les êtres.

Vivre et mourir à la manière Dzogchèn, c’est simplement faire avec les conditions de notre existence. Qu’on soit cuisinier, banquier, spéléologue, père ou mère de famille, ou encore poète, vivre et mourir à la manière Dzogchèn, c’est garder au cœur l’instruction principale, la vue sur la nature de l’esprit, et mourir simplement, comme on vit. Alors la mort n’est pas une fin, la naissance n’est pas un début. Mais ça, c’est une autre histoire…

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