Une vigilance aussi fine que du sable
Écrit par Paul Baffier
Blog | L'aventure Dzogchèn | Réflexion sur la mort
Dans cet article, Paul nous propose d’envisager que notre devenir est visible à tout instant en regardant ce qui se joue dans nos consciences.
Série : L’été de l’océan
Une vigilance aussi fine que du sable
À examiner tous les systèmes de pensée, je peux dire que tous traitent la mort de différentes manières. Certains disent qu’on ne peut pas savoir, qu’on ne peut pas déterminer le jour de notre mort. D’autres, qu’on peut le faire avec précision.
Certains ont un credo qui nous laisse penser que quelle que soit la façon dont on meurt ou dont on prépare notre mort, cette mort sera de toute façon horrible. Ou sera de toute façon un passage vers un paradis ou une stase agréable.
D’autres disent qu’il faut bien se préparer.
D’autres encore qu’il suffit de s’être converti à un principe universel pour passer dans l’au-delà sans rien faire de plus qu’avoir confiance.
Certains disent qu’il y a des renaissances sans fin. D’autres qu’il n’y a qu’une seule vie.
Certains disent que les renaissances sont une progression vers les étages supérieurs de la conscience, une sorte d’évolution spirituelle automatique. Certains disent que l’on peut régresser vers des états inférieurs.
D’autres refusent de se prononcer ; par connaissance de leur ignorance ; ou par peur ; ou par ignorance des connaissances à disposition sur notre planète dans toutes les cultures qui les mentionnent et les préservent.
“ Seule compte l’attention portée à la nature des actes. C’est celle-ci qui détermine la visibilité immédiate, à chaque instant, de mon propre devenir.”
Face à tant d’interprétations, face à tant de ce que nous appelons (nous occidentaux) « croyances » — ce qui nous semble être des représentations mentales dont nous serions, nous “matérialistes objectifs”, dépourvus — nous avons tendance à nous porter vers le système de pensée qui nous rassure :
- soit qu’il nous rassure vers une absence totale d’effort et vers une certitude d’un passage paisible vers un au-delà de félicité ;
- soit qu’il nous rassure par une autre absence d’effort, celle, nihiliste, d’une absence totale d’avenir et donc d’une seule vie dont il faut savoir profiter avec délice et fureur.
Toujours est-il que nous nous portons vers ce qui nous rassure, nous fait « du bien », vers ce qui nous permet d’aller tranquillement à la plage sans penser au lendemain. Carpe diem car à chaque jour suffit sa peine.…
Pour ma part, foulant le sable de la plage, je reviens à l’instruction cruciale de Padmasambhava dans la Guirlande des vues : « Ma vue est plus vaste que l’espace, mais mon attention est plus fine que la farine. »
La farine, ou le sable ? Le sable est certes moins fin que la farine, mais il est plus tranchant.
Le tranchant du sable ramène au fait que peu importe mes croyances, seule compte ma vigilance, portée à la nature de chaque phénomène.
Seule compte l’attention portée à la nature des actes. C’est celle-ci qui détermine la visibilité immédiate, à chaque instant, de mon propre devenir.
Point besoin alors de système herméneutique, d’explication du monde ou de croyances rassuristes ou alarmistes.
Point besoin de promesse. Point besoin de malédiction.
Il suffit de regarder pas à pas, à chaque seconde, ce qui se joue dans ma conscience. Car comme le dit l’adage :
« Pour savoir ce que tu as fait dans les vies passées, regarde ce que tu es maintenant. Pour savoir ce que tu seras dans les vies futures, regarde ce que tu fais maintenant. »
Nos tendances récurrentes, nos habitudes latentes, nous portent sans cesse au devant de nous — sans que nous n’ayons aucune sorte de contrôle sur elles… semble-t-il.
Seule notre vigilance, notre attention portée à elles nous permet de regarder leur mouvement, leur maturation, leur diffusion dans chacune de nos pensées, nos paroles et de nos actes. Ces actes de l’esprit qui sont par millions de millions comme les grains de sable du Gange ou des océans du monde.
La tradition a énormément travaillé cette image des grains de sable :
Selon le Discours de l’entrée dans la dimension absolue [1] :
« Je pense et me souviens de la succession continue d’une vie après l’autre, d’une ère cosmique après l’autre, et de la succession d’un éveillé parfait après l’autre, me souvenant des Ainsi-allés aussi nombreux que les grains de sable dans trente-six fleuves Gange »
Selon le Discours de l’ère cosmique favorable [2] :
« Atteignant l’épanouissement au-delà de la mort, ils transcendent
toute l’humanité et tous les royaumes des êtres sensibles du trichiliocosme,
aussi nombreux que les grains de sable du fleuve Gange,
et atteignent ainsi les portes de la sagesse. »
Selon L’Enseignement de l’émission du rayonnement lumineux partout présent [3] :
« Les rayons lumineux émanant du corps des éveillés parfaits
Sont aussi nombreux que les myriades de particules de poussière
Présentes dans les innombrables millions de royaumes d’éveillés parfaits
Aussi nombreux que tous les grains de sable présents dans l’océan. »
Etc, etc.
Je continue, pendant ce temps, de porter attention aux actes de mon corps, aux actes de ma parole, aux actes de ma pensée. Car ce sont eux l’infinité des grains de sable qui constituent mon devenir, ce sont eux les grains de sable qui constituent les univers infinis des vécus conditionnés, ce sont eux aussi qui sont les infinis éveillés parfaits qui illuminent les mondes illusoires où, parfois, nous naissons, allons à la plage, et mourrons.
Tous les textes cités sont consultables en anglais sur l’excellent site https://84000.co :
[1] https://84000.co/translation/toh44-45 BACK
On se reportera aussi à l’extraordinaire traduction française de Patrick Carré : https://www.padmakara.com/catalogue-collection-tsadra/273-soutra-de-lentree-dans-la-dimension-absolue-9782370411136.html
[2] https://84000.co/translation/toh94 BACK
[3] https://84000.co/translation/toh55 BACK
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