Une précieuse naissance humaine
Écrit par Mila Khyentse
Blog | L'aventure Dzogchèn
Dans « Une précieuse naissance humaine », Mila Khyentse parle des conditions difficiles qui accompagnent la naissance et la pratique du chemin.
Série : Les conditions difficiles dans le Dzogchèn
Une précieuse naissance humaine
Il y a de nombreuses conditions difficiles, voire impossibles, pour la pratique de la Grande Perfection, dans les traditions indienne et tibétaine. Ce sont des réflexions classiques et très importantes pour nous faire prendre conscience de la préciosité de la vie et de celle de notre existence. Que l’on pense qu’il puisse exister plusieurs types d’existence ou non, que l’on croie en la réalité d’un nombre quasi infini d’existences ou non, ces réflexions nous invitent à prendre conscience de la chance – d’aucun dirait du « good karma ! » – que nous avons d’être un humain sur cette terre et de la responsabilité que nous avons alors.
Il existe une liste classique à ce propos appelée les « huit libertés et les dix avantages ». Laissons Chökyi Dragpa (tib. : chos kyi grags pa) nous éclairer à ce sujet :
« Il y a huit libertés et dix avantages. Premièrement, si vous preniez naissance dans les royaumes des enfers, des esprits avides ou des animaux, vous souffririez de la chaleur et du froid intenses, de la faim et de la soif, ou de la servitude, et il vous serait impossible de pratiquer le Dharma. Si vous naissiez parmi les dieux qui vivent longtemps, ce serait également impossible car vous n’auriez pas l’idée de pratiquer le Dharma. Les enseignements du Bouddha ne se trouvent pas dans les terres non civilisées des régions frontalières, et il est donc également impossible d’y vivre.
Si vous naissiez dans un monde où un Bouddha n’est pas apparu, ou pendant un kalpa sombre, ce serait impossible parce que même les mots « Trois Joyaux » (Bouddha, Dharma, Sangha) vous seraient inconnus. Si vous naissiez en étant incapable de compréhension, il serait impossible de pratiquer le Dharma parce que vous ne pourriez pas comprendre le sens des enseignements. Lorsque vous possédez un corps physique exempt de ces huit états où il n’y a aucune chance de pratiquer le Dharma, on dit que vous possédez un support pour la pratique du Dharma doté des huit libertés. » [1]
“On dit que si toutes les conditions ne sont pas réunies, alors le souhait qu’elles le soient reste la meilleure chose à faire. Elles finiront par être toutes réunies si on s’y emploie ardemment.”
Ainsi, nous pouvons déjà déterminer qu’il y a des « conditions de naissance » qui rendent difficiles, voire impossibles, la pratique du Dzogchèn. Le fait d’être complètement accaparé par la souffrance, par exemple, dans les enfers, fait qu’il est impossible de pouvoir faire autre chose. Il en est de même dans les autres types d’existence : obnubilés par l’avidité, la bêtise, la jalousie ou l’orgueil, les êtres ne peuvent faire autre chose. Naître en tant qu’être humain est donc la seule possibilité sur toutes les naissances envisagées par la tradition. La seconde série de conditions impossibles est le non-accès à l’enseignement : s’il n’est pas présent ou si nous ne possédons pas les qualités pour le mettre en pratique.
Puis, il y a les dix avantages. Continuons avec Chökyi Dragpa :
« Deuxièmement, les dix avantages sont divisés en cinq avantages personnels et cinq avantages circonstanciels. En ce qui concerne les premiers, le fait d’être né en tant qu’être humain signifie que l’on dispose d’un support physique adéquat pour pratiquer le Dharma. Le fait de disposer des cinq facultés [2] permet d’étudier les enseignements et de les mettre en pratique. Naître dans un pays central signifie naître dans un endroit où les enseignements sont disponibles. Un mode de vie qui n’est ni nuisible ni incorrect signifie que votre corps, votre parole et votre esprit sont en harmonie avec le Dharma. Avoir foi dans les enseignements du Bouddha, c’est reconnaître qu’ils dessinent un chemin spécifique menant à la libération de l’errance cyclique (saṃsāra) et à un état qui surpasse la situation des dieux mondains. Lorsque l’on possède ces cinq qualités, on dit que les cinq avantages personnels sont complets.
Pour que les cinq avantages dus aux circonstances soient présents, il faut qu’un Bouddha soit apparu, un événement aussi rare que l’apparition d’une fleur d’Uḍumbara (qui guérit tous les maux), qu’il ait enseigné les trois cycles du Dharma et que les enseignements aient survécu sans se dégrader. Il doit également y avoir des amis extraordinaires qui ont adopté les enseignements et un maître ou un ami spirituel doit vous avoir accepté. Ces cinq éléments sont connus sous le nom de cinq avantages dus aux circonstances. »
Voilà donc toutes les conditions nécessaires à la pratique des traditions du Bouddhisme et de la Grande Perfection. Pour ces traditions, si ces conditions ne sont pas réunies, le chemin est trop difficile pour être arpenté. Nous pouvons par exemple comprendre une partie des enseignements, mais ne pouvons pas les mettre en pratique. Voire, il est impossible ne serait-ce que d’avoir accès à la Grande Perfection, en naissant par exemple dans le monde des dieux. Cela pourrait nous sembler injuste à nous qui avons été biberonnés avec cette idée que le mieux est à venir ou que si on fait l’effort nécessaire, on peut y arriver. Pourtant, pour ces traditions millénaires, le chemin dépend de toutes ces conditions et notre volonté seule n’est pas suffisante.
On dit que si toutes les conditions ne sont pas réunies, alors le souhait qu’elles le soient reste la meilleure chose à faire. Elles finiront par être toutes réunies si on s’y emploie ardemment. Bien sûr, le temps de la Grande Perfection n’est pas le même que le nôtre. Cela peut prendre un certain nombre d’existences…
[1] Tiré du « Flambeau du chemin de l’omniscience ». Vous trouverez le texte dans son intégralité ici : https://www.lotsawahouse.org/fr/tibetan-masters/chokyi-drakpa/a-torch-for-the-path RETOUR
[2] La faculté de conviction, la faculté de persévérance, la faculté de l’attention, la faculté de concentration, la faculté de discernement. RETOUR
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