UN LIEU PRIMORDIAL

Ecrit par Johanne Bernard

Johanne est scénariste pour le cinéma et la télévision, et auteure. Elle pratique la méditation bouddhiste et le Dzogchèn depuis plus de dix ans.

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Dans cet article, Un lieu primordial, Johanne nous parle de la nature primordiale des lieux les plus chers de nos souvenirs.

Un lieu primordial

Nous avons tous un lieu avec lequel nous entretenons un lien particulier. Un lieu, comme un paysage familier, où nous aimons trouver refuge dans nos souvenirs : une forêt aux chênes centenaires ; une plage de galets au bord de l’océan ; une vallée enneigée au cœur d’une montagne… Nous y sommes allés peut-être juste une fois, peut-être y allions-nous régulièrement, jusqu’à ce que la vie nous emmène ailleurs.

Le temps est passé, cela fait longtemps que nous ne sommes pas retournés dans cette forêt, sur cette plage, dans cette vallée… Puis, un jour, nous nous sommes dit : Et si j’y retournais ? Pour refaire le lien, pour le montrer à mes enfants.

Nous nous sommes préparés comme si nous partions en pèlerinage. Nous avons pris la voiture ou le train. Nous avons imaginé le temps du trajet ce que cela nous ferait de revoir cet endroit. Nous nous sommes replongés dans nos souvenirs. Et puis nous sommes arrivés.

 

Là, sur place, debout devant ce lieu que nous aimions tant, il s’est alors passé quelque chose. Quelque chose qui, dans un premier temps, nous a complètement hébété. Ce lieu, notre lieu, n’était plus le même. Les arbres avaient brûlé et dans cette forêt de troncs noirs, les oiseaux ne chantaient plus. La plage avait disparu sous l’océan. Dans la vallée, la neige avait laissé place à un sol sec et rocailleux, abîmé par un récent éboulement. Debout devant ce paysage que nous ne reconnaissions plus, nous avons alors ressenti un sentiment que nous ne connaissions pas encore : une forme de tristesse et de colère, mêlée à de la nostalgie. Cette émotion particulière, nous avons constaté qu’elle nous habitait encore, même une fois partis, comme une souffrance sourde, presque angoissante. Pourquoi étions-nous affectés à ce point ?

” Vivre cette expérience, c’est alors se relier à la nature de la réalité, dans tout son déploiement et dans toute sa splendeur.”

Quand nous demandons à une personne sur le point de mourir où elle souhaiterait que ses cendres soient dispersées, c’est souvent à ce type de lieu auquel elle pense. Pour elle, ce lieu est bien plus qu’un paysage. C’est l’odeur de la terre ; c’est le bruit du vent dans les feuilles ; c’est le son du crépitement de la neige sous les rayons du soleil ; c’est la lumière qui scintille sur l’eau… C’est le rappel d’une expérience, souvent liée à l’enfance.

Quand l’enfant découvre pour la première fois ce qui l’entoure, c’est avec tous ses sens et dans toute son entièreté qu’il le fait. Cette expérience pleine, sans jugement, sans commentaire, se fait naturellement, dans une connaissance immédiate sans effort. C’est certainement le rappel de cette expérience directe de l’enfance qui, au fond, nous bouleverse tant.

dzogchentoday.a primordial place ©Maréva Bernard

Dans cet état premier, dans cette émotion nue, où il n’y a plus de dualité, plus d’extérieur ou d’intérieur, ce lieu dans lequel l’enfant se trouve n’est, pour lui, plus un lieu, mais le rayonnement naturel de son propre esprit. L’odeur de la terre, le bruit du vent dans les feuilles, le son du crépitement de la neige, la lumière du scintillement de l’eau, sont comme autant de manifestations naturelles de son esprit.

Dans le Dzogchèn, on dit que tout est à la fois la base de l’esprit et son déploiement. Tout est nature primordiale de l’esprit. Vivre cette expérience, c’est alors se relier à la nature de la réalité, dans tout son déploiement et dans toute sa splendeur.

Ce lieu où nous aimerions emmener nos enfants ne sera certainement plus le même dans 5 ou 10 ans. Oui, les lieux périssent, comme nos corps eux-mêmes sont soumis à la dégénérescence et finissent par disparaître. En nous reliant à cet état premier, nous pouvons cependant découvrir qu’à la source des phénomènes est la base primordiale de l’esprit, sans origine, ni cessation.

Alors, debout devant ce lieu que nous aimions tant, qu’il y ait le bruissement du vent dans les feuilles ou son absence, qu’il y ait le son du crépitement de la neige ou son absence, qu’il y ait le scintillement de la lumière sur l’eau ou son absence, c’est le son de la nature primordiale qui résonne, c’est la luminosité de rigpa[1] qui se manifeste.

Tout ce qui est précieux se protège. Retrouver le lien à la nature primordiale est peut-être le chemin pour nous rappeler la préciosité de l’existence humaine et celle de tout ce qui l’entoure.

C’est peut-être cela, finalement, que nous pourrons transmettre à nos enfants, qui eux-mêmes pourront le transmettre aux leurs…

 

 

[1] Rigpa : « évidence primordiale », la présence naturelle de l’aspect primordial de l’esprit.   RETOUR

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