Un bosquet paisible parsemé de fleurs
Écrit par Johanne Bernard
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Dans cet article, Johanne évoque les qualités d’un lieu propice à la mise en retrait, pour mieux observer son esprit.
Série : Où pratiquer le chemin du Dzogchèn ?
Un bosquet paisible parsemé de fleurs
Où pratiquer le chemin du Dzogchèn ? « Là où l’on est ! », répondons-nous spontanément avec enthousiasme. C’est-à-dire, partout, quelles que soient les conditions. Puisque le Dzogchèn nous invite à percevoir directement la nature de la réalité à chaque instant, nul besoin de se déplacer ou de changer d’environnement…
Pourtant, depuis des siècles et des siècles, les maîtres tibétains incitent leurs élèves à partir régulièrement en retraite : pendant des années, des mois, des semaines… Pourquoi ? Eh bien, parce que sur le chemin du Dzogchèn percevoir directement la nature de la réalité n’est, malgré tout notre enthousiasme, pas toujours immédiat. Même si nous faisons l’expérience directe de la nature de l’esprit, pris par nos habitudes de pensée conceptuelle, par nos émotions et notre tendance à appréhender le monde de manière duelle, nous avons souvent du mal à la reconnaître. Et il nous est encore plus difficile de stabiliser l’état de la Grande Perfection…
Parce qu’ils l’ont eux-mêmes expérimenté, les maîtres savent que pour mieux observer son esprit, il faut s’extraire du quotidien, couper ses habitudes et éviter les interactions qui entretiennent nos tendances. En quelques mots, se mettre en retrait…
Où aller alors ?
Dans son magnifique chant « Les délices de la forêt », Longchenpa, un grand maître dzogchèn et bouddhiste tibétain de l’école Nyingmapa du XIVème siècle, vante les qualités d’un lieu propice à la pratique du Dharma. Avec ses arbres et ses fleurs parfumées, sa brise et sa brume rappelant l’encens, ses ruisseaux et ses cascades évoquant le roulement du tambour, ses étangs purs, ses étoiles tel un jardin céleste, et son chant du coucou à la mélodie enivrante, il nous décrit ce qui, pour lui, représente l’endroit idéal pour observer la nature de l’esprit : la forêt.
« Dans la forêt où il n’y a personne pour dire des choses déplaisantes,
Les émotions perturbatrices s’apaisent naturellement.
Dans la forêt, loin des villes affairées,
La quiétude méditative augmente naturellement.
Dans la forêt, on apprivoise l’esprit qui se conforme au vrai Dharma,
Et l’on peut trouver la félicité de la paix intérieure.
En bref, les charmes de la forêt sont innombrables.
Voudrait-on essayer d’en exprimer toutes les qualités,
Qu’on n’aurait pas assez d’une ère cosmique. »
Si Longchenpa nous encourage à nous retirer en forêt, véritable écrin de paix naturel, nous pourrions dire, plus largement, qu’un lieu propice à une retraite est :
Un lieu entouré de nature, car nous avons besoin de force vitale pour rompre nos habitudes.
Un lieu calme et sans distraction, où les conditions de concentration sont réunies pour observer son esprit, de jour comme de nuit.
Un lieu dédié, c’est-à-dire entièrement consacré à l’entraînement de l’esprit, à l’étude et à la contemplation, où d’autres pratiquants sont venus avant nous, partageant la même motivation, celle de cheminer pour le bien des êtres.
Un lieu sacré, qui porte la bénédiction du maître… Car un lieu propice à une retraite n’est pas qu’un lieu extérieur. C’est avant tout un espace où nous avons les conditions de pouvoir rencontrer le ‘’maître intérieur’’, la nature primordiale de l’esprit.
« Parce qu’ils l’ont eux-mêmes expérimenté, les maîtres savent que pour mieux observer son esprit, il faut s’extraire du quotidien, couper ses habitudes et éviter les interactions qui entretiennent nos tendances. En quelques mots, se mettre en retrait…”
La nature primordiale de l’esprit, c’est la forêt enchanteresse de la libération qu’évoque Longchenpa au début de son chant, alors qu’il écrit :
« Je me prosterne devant mon maître et les Trois Joyaux !
Son corps est un bosquet paisible parsemé de fleurs,
Chatoyant dans les frais rayons lunaires de la compassion ;
C’est l’unique fortifiant pour ceux qui languissent depuis longtemps :
Je rends hommage à la forêt enchanteresse,
Que je semble apercevoir pour la première fois ! »
La rencontre avec le maître intérieur, ce bosquet paisible parsemé de fleurs, dont nos maîtres nous invitent à faire l’expérience en nous mettant en retrait, c’est ce que nous emporterons avec nous, à notre sortie de retraite.
C’est, à force d’alterner retraite et activité dans le monde, ce que nous porterons en nous, où que nous soyons.
Emplis de gratitude, nous pourrons alors désormais le dire avec certitude : oui, le Dzogchèn se pratique là où l’on est !
Car là où l’on est, dans les frais rayons lunaires de la compassion, est la libération.
texte : Les délices de la Forêt, Longchenpa
https://www.lotsawahouse.org/fr/tibetan-masters/longchen-rabjam/enchanting-wildwoods
Traduit en français par Vincent Thibault (2023) sur la base de la traduction anglaise de Timothy Hinkle (2016). La version de Kyabjé Thinley Norbu Rinpoché publiée dans Sunlight Speech That Dispels the Darkness of Doubt (Shambhala Publications, 2015), intitulée « Always Rejoicing in the Forest », a également été consultée avec profit.
Note du traducteur vers l’anglais : Cette traduction est offerte gracieusement pour inspirer les yogins et yoginis qui méditent en forêt, partout dans le monde. Puisse-t-elle ravir celles et ceux qui aspirent à s’éveiller dans la simplicité de la nature.
Se mettre en retrait : Un lieu dédié – La Sauveté.
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