La traduction comme Adaptation

Écrit par Grégoire Langouet

Doctorant à UCLouvain (Belgique), co-directeur des éditions Vues de l'esprit, traducteur du tibétain.

Blog | Réflexions sur la traduction

Dans cet article, Grégoire nous explique ce que représente la traduction du Dzogchèn, quelques-uns de ses pièges et une poignée de ses infinies possibilités.
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Rigpa, l’essence de la tradition

La traduction de textes tibétains en français est une application directe de la mission de Dzogchen Today!. C’est un exemple caractéristique de l’adaptation nécessaire de la tradition aux conditions actuelles. Il faut des textes qui nous parle, à nous, aujourd’hui, et directement. A cette fin, il nous faudra jouer avec les biais culturels, parfois difficiles à percer, et les époques, parfois éloignées de nous. Des traductions simples, directes, les plus naturelles possibles. Faire passer le cœur, l’essence de la tradition — voilà ce que le comité de traduction Dzogchen Today! devra accomplir.

L’adaptation, pour ne pas dire l’altération, que constitue toute traduction est inévitable lors du passage d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre, d’un réceptacle (une langue) à l’autre. La forme, le « contenant » change, mais pas le cœur, l’essence de la transmission qu’est la nature de l’esprit elle-même, le « contenu » (qui, en fait n’est pas contenu parce qu’il n’est pas quelque chose en soi, mais c’est un autre sujet que vous trouverez traité dans la catégorie nature de l’esprit). La tradition Dzogchèn a l’habitude de l’appeler rigpa.

Comment faire  ?

Il s’agit donc de traduire comme on marcherait sur une mince ligne de crête, avec délicatesse et assurance, entre deux écueils à éviter : d’un côté le ravin de la conservation stérile du passé, une sorte de muséification poussiéreuse ; et d’un autre, le gouffre des innovations créatives au goût du jour mais éloignées de toute expérience directe, le cœur de la tradition.

La traduction c’est comme lancer une flèche du passé vers l’avenir. Ou comme verser de l’eau d’un contenant à l’autre : entre fidélité à un héritage à préserver et adaptation aux conditions du monde moderne. Mais la flèche doit être ramassée et relancée, comme l’eau doit être à nouveau remuée, pour que, dans les deux cas, elles demeurent « vivantes » et poursuivent leur chemin. Pour que la flèche et l’eau demeurent « chargées » et pleine de l’énergie primordiale, nos deux métaphores doivent alors être activées, tout comme la lignée Dzogchèn doit l’être par la foudre de la transmission et la pluie des bénédictions.

Essayer encore. Rater encore. Rater mieux.

Et réussir ?

Comme il n’y a pas d’homogénéité dans les traductions actuelles du tibétain vers le français, il est possible de continuer à expérimenter pour découvrir ce qui fonctionne le mieux. Certaines traductions largement répandues devront peut-être être révisées. De nouveaux termes seront proposés. Les lectrices et les pratiquants seront nos seuls juges !

Le passage d’une tradition d’une aire culturelle à une autre prend toujours du temps, beaucoup de temps. C’est n’est pas à l’échelle d’une vie humaine qu’il faut penser. 500 ans semble raisonnable. Autant commencer dès maintenant !

Expériences directes

L’essentiel dans ces traductions sera donc de garder le cœur, de faire passer le sens, et de rendre ainsi possible les expériences correspondantes. Car un texte sans expérience reste lettre morte. Traditionnellement, la plupart des textes étaient des aides-mémoire. Les notes écrites d’une transmission orale.

La transmission du sens – l’enseignement de la tradition – est faites pour offrir les bonnes conditions pour sa réalisation par les expériences personnelles des pratiquants ; réalisation toujours intime et singulière. La seule écoute, la lecture ou la récitation de tels textes peut donner à goûter un aperçu de l’expérience ultime qu’il transmet.

Ne nous accrochons donc pas au sens littéral par fidélité mal placée. Un texte dzogchèn n’est pas un musée, ni une idyllique réserve naturelle à protéger. Il n’est pas non plus une vieille légende du passé, comme si le traducteur, enfin moderne et éclairé, en savait plus que le rédacteur, archaïque et dépassé !

De tels textes sont le partage d’une expérience directe, d’une pratique vivante – ils vibrent tel un chant spontané, la musique des sphères. Si nous nous y frayons une voie d’accès aujourd’hui, résonnant avec lui, l’intégrant à notre vie, il sera alors transmissible pour demain.

Les traducteurs

Plus les expériences de pratique des traducteurs – les passeurs et transmetteurs de mots – seront profondes et répétées, et plus leur réalisation sera stabilisée (petit à petit, doucement mais sûrement), plus il leur sera alors possible de jouer librement avec les formes, avec le « contenant ».

Créer, expérimenter, s’amuser !

Car la confiance et la certitude seront pour eux présentes. C’est lorsque l’on n’est pas sûr et que l’on doute que l’on s’accroche à la littéralité du sens, craignant sa perte. Oser changer les formes, ajuster les ornements de présentation, l’apparat rayonnant, c’est ce qui aidera à faire perdurer la lignée vivante de transmission. C’est en tout cas notre pari. Plus les formes seront variées, plus des personnes différentes pourront être touchées.

Rester le plus simple, naturel et direct possible. Adapter le vocabulaire et les exemples pour que cela nous touche ici et maintenant. Rendre accessible et praticable un chemin de vie et spirituel pour aujourd’hui, dans notre monde, un chemin qui recèle des trésors inimaginables de profondeur et de simplicité, qui est l’évidence même : c’est le but de Dzogchen Today! La traduction des textes dzogchèn en est un aspect essentiel. De premiers extraits devraient voir le jour dès l’année prochaine. Prêts pour goûter à cette ancienne et nouvelle aventure ?

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