Prendre la vague dans le Dzogchèn

Écrit par Mila Khyentse

Mila Khyentse est un enseignant français du Dzogchèn et du Bouddhisme tibétain et l'initiateur du projet Dzogchen Today!

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Dans cet article, “Prendre la vague dans le Dzogchèn”, Mila Khyentse parle (beaucoup) de sable, de surf et du chemin du Dzogchèn.

Prendre la vague dans le Dzogchèn

L’été, pour bon nombre d’entre nous, c’est la saison favorite pour aller à la plage (tant que c’est encore possible). À la plage, on peut – dans l’ordre que l’on veut – bronzer enduit de crème solaire avec un peu de sable, manger des beignets gras avec un peu de sable, faire la sieste et avoir la moitié du visage avec un peu de sable, marcher avec un peu de sable dans les pieds, faire des châteaux de sable avec un peu de sable, jouer aux raquettes ou au frisbee en mangeant un peu de sable au passage… et prendre la vague, enfin sans un peu de sable.

Que l’on soit sur une planche ou sans, prendre la vague est tout un art… et cela m’a toujours fait penser au chemin de la Grande Perfection. Je me demande d’ailleurs ce qui ne m’y fait pas penser, le sable peut-être.

Tout d’abord, il est nécessaire de se lever de sa serviette, et cela n’est pas donné à tout le monde. Étape 1 : la mise en branle.

Ensuite il faut s’équiper, si on se lance dans le surf par exemple ; combi et planche, avec le sempiternel débat dans le choix : shortboard, evolutive, fish, mini-malibu et egg, longboard et gun.longboard. Puis le leach et enfin la wax. Cette dernière est très importante, c’est ce qui différencie votre planche d’un fer à repasser ; d’où la fameuse expression de Brice : « Alors, ça farte ? ». Étape 2 : le choix de l’équipement, c’est à dire la forme de pratique que nous allons appliquer. Immédiate, graduelle, un mélange des deux ?

D’un coup vous vous redressez : toutes ces années d’entraînement paient enfin ! Le mouvement est totalement fluide, vous ne pensez même plus à vous lever et à vous équilibrer debout sur la planche, cela se fait tout seul. C’est totalement grisant. Vous commencez à glisser tout seul, sans effort. C’est désormais la planche qui vous porte.

Puis, avec tout notre équipement, il faut nous diriger vers l’eau, nous y jeter et ramer, ramer, ramer, jusqu’à passer la fameuse barre (qui est comme une frontière invisible de vagues séparant les eaux entre le paradis où les surfeurs peuvent prendre les rouleaux et l’enfer où ils n’ont de cesse de ramer pour atteindre le frisson tant espéré). Étape 3 : apprendre les rudiments et passer la barre d’une pratique sans effort ; ce sont les préliminaires communs qui nous montrent comment pagayer.

Arrivé après la barre, nous profitons d’un instant de calme où, assis sur notre planche, nous contemplons le mouvement de l’océan (nous sommes en France, à la frontière entre les Landes et la côte Basque… parce que ce sont les meilleurs spots bien sûr !) bercé par le grossissement des vagues pas encore transformées en rouleaux. Étape 4 : la stabilisation de l’état de calme, par le biais des préliminaires spécifiques, celui dans lequel les émotions perturbatrices s’apaisent.

Vient enfin le moment fatidique où les conditions sont réunies : une vague avec suffisamment de force se jette sur vous, vous êtes totalement aligné avec elle et dans la bonne position, prêt à accélérer.

C’est parti ! Tout s’enchaîne d’un coup : la vague se soulève, vous pagayez et palmez avec force pour vous propulser sur la crête de la vague qui se transforme en rouleau. Étape 5 : la phase de création : celle dans laquelle nous fournissons des efforts mentaux pour construire la réalité et finalement totalement réaliser que tous les phénomènes sont la création de notre propre esprit et que leur existence même est illusoire. C’est la réalisation que toute la réalité est en soi.

D’un coup vous vous redressez : toutes ces années d’entraînement paient enfin ! Le mouvement est totalement fluide, vous ne pensez même plus à vous lever et à vous équilibrer debout sur la planche, cela se fait tout seul. C’est totalement grisant. Vous commencez à glisser tout seul, sans effort. C’est désormais la planche qui vous porte. Étape 6 : la phase de perfection, où nous apprenons l’activité spontanée et l’équilibre fondamental des souffles intérieurs.

 

dzogchentoday-© Linus Nylund-Unsplash

Le rouleau se déploie tout autour de vous, la vague vous enveloppe, tout est comme en suspens malgré la vitesse et le mouvement, un simple mouvement de torsion du bassin permet de commencer à faire des figures complexes dans le rouleau dans lequel vous évoluez avec une aisance devenue toute naturelle. Étape 7 : la pratique de « dénouer la fixation » (tib. : khregs gcod, prononcer trekchö), dans laquelle nous rejoignons notre propre base d’existence, notre propre nature inconditionnée et libre et où tout est totalement naturel. C’est la première des deux grandes libérations : celle de la réalisation de notre propre nature vide.

Finalement, par le jeu de la force cinétique, de la gravité et de la profondeur de l’eau qui s’amenuise, on ressort du rouleau entraîné par l’élan de la vague. La course effrénée que nous venons de vivre ralentit petit à petit, au fur et à mesure que le mouvement de la vague passe et que notre planche s’enfonce dans l’eau. Nous terminons notre course doucement, de manière complètement fluide, empli d’un sentiment d’achèvement sans limites : celui d’avoir réussi à aller jusqu’au bout et de s’être abandonné totalement au mouvement naturel : ne plus faire qu’un avec la vague. Étape 8 : la pratique finale de la Grande Perfection, celle du « saut immédiat » (tib. : thod rgal, prononcer thögäl) dans laquelle tous les phénomènes de la réalité rejoignent leur propre base primordiale et d’où ils rejaillissent dans le mouvement naturel de l’esprit totalement libre, comme le soleil dont les rayons illuminent jusqu’aux confins de la galaxie.

Cela n’aurait jamais été possible sans des années d’entraînement enthousiaste. Big up! à mon prof favori sans qui tout ça n’aurait jamais pu advenir non plus. Brice, si tu me lis à Nice…

Me réveillant sur ma serviette, la moitié de mon visage avec un peu de sable et les restes d’un beignet à la framboise avec un peu de sable négligemment posé dessus, je me surprends à me dire que ce serait vraiment bien que je me mette enfin au surf !

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