L’origine du monde
Écrit par Mila Khyentse
Blog | Esprit et Dzogchèn | Les bases du Dzogchèn
Dans cet article, « L’origine du monde », Mila Khyentse parle de l’origine et de la manifestation de la réalité, de l’univers, pour le Dzogchèn
L’origine du monde 1: la nature de la manifestation
Pour la plupart des traditions asiatiques, le temps est fait de cycles se répétant, reproduisant la même danse au gré de la manifestation et de la destruction des univers : ils apparaissent, puis disparaissent ; apparaissent-disparaissent… C’est un perpétuel mouvement entre big bang et big crunch.
« Pour le Dzogchèn, tout ce qui se manifeste pour nous – que l’on ait l’impression que cela se présente à l’extérieur (les autres êtres, la terre, le ciel, l’espace, l’univers…) ou à l’intérieur (les pensées, les sensations, les émotions, etc.) – ne peut être qu’au sein de notre propre esprit. »
On parle aussi plus volontiers de multivers avec de multiples dimensions, plutôt que d’un seul univers. Cette danse de création et de disparition des multiples univers est aussi le cœur de la perspective dzogchèn de la manifestation de la réalité.
Pour le Dzogchèn, tout commence dans la nature de l’esprit et tout y finit, c’est-à-dire que rien ne commence vraiment et rien, non plus, ne finit vraiment, puisque cela n’a jamais vraiment commencé. Pourtant, même si cela ne commence pas vraiment, tout prend son origine dans la pureté primordiale de l’esprit, source de la manifestation des phénomènes. Ces derniers sont alors la présence spontanée de cette source primordiale. Comment se manifestent-ils ? On dit qu’il y a d’abord (pas “en premier” mais “à la base” !) le rayonnement de la Base (de l’esprit) qui est une vive clarté lumineuse vide qui se réfracte dans l’espace vide et « l’habite » alors comme cinq luminosités fondamentales. Ces cinq luminosités représentent les qualités primordiales de cet espace dont elles sont le jaillissement spontané. Il est important de comprendre que, dans la pensée dzogchèn, il n’y a pas quelque chose qui donne naissance à autre chose : les cinq luminosités sont le rayonnement naturel, intrinsèque, de la base vacuité de notre propre esprit.
Ainsi, le multivers ne saurait « exister » en dehors de notre esprit comme un objet extérieur à celui-ci. Nous sommes ici, au niveau de l’espace primordial, dans un espace hors du temps, dans un temps hors de l’espace, où les directions sont des qualités, des « sagesses » fondamentales, et les phénomènes des potentiels.
Au-delà du temps et de l’espace, dans l’origine de l’esprit, les manifestations (les phénomènes) n’ont pas l’espace physique pour s’agréger et n’ont pas le temps de se développer, d’évoluer, de se transformer. À ce niveau-ci de perception de la réalité, il n’existe même pas l’idée ou la sensation d’un dehors et d’un dedans, d’un soi et d’un autre, d’un multivers dans lequel nous nous trouvons, de manifestations et de Base. Voilà pourquoi c’est l’espace des cinq sagesses, les premiers jaillissements – mais pas dans le temps, en tant qu’origine -, potentiels vides de toutes les manifestations.
Puis de l’espace des cinq sagesses se manifestent les trois mondes, les quatre temps et les dix directions.
Prenons un passage du Guhyagarbha tantra [1], issu d’une des plus anciennes rédactions datées du 8e siècle [2], pour nous éclairer sur cette origine de la réalité pour le Dzogchèn :
L’enseignement de la Grande Perfection (Dzogchèn) primordiale, spontanément présente,
Ce sublime domaine d’expérience de la connaissance primordiale suprême est dispensé à titre d’instruction personnelle à ceux dotés d’intelligence.
Je rends hommage à l’instruction primordiale ainsi apparue.
Sans centre ni périphérie, sans être un ni multiple,
Le maṇḍala qui transcende la pensée et qui ne peut être exprimé,
Illumine l’esprit de l’évidence primordiale (Rigpa).
Je rends hommage au grand Vajrasattva.
Dans les trois mondes illusoires qui sont comme le ciel sans limites,
Des millions d’émanations sont présentes partout,
Cernées par le filet de la sagesse dans l’espace de l’ainsité.
Je rends hommage à Māyājāla.
Les dix directions et les quatre temps sont secrètement de la nature de la Grande Perfection,
qui est elle-même l’ainsité de l’essence ultime,
Primordiale et spontanément présente, cause et effet inséparables.
Je rends hommage au Guhyagarbha suprême.
Dans ce passage, l’un des plus anciens existants sur le Dzogchèn, on nous confirme que la base de la réalité est l’esprit de l’évidence primordiale, notre propre nature de Grande Perfection, au-delà de n’importe quel extrême conceptuel de pensée ou de perception. Puis, on nous dit qu’au sein des trois mondes (les trois dimensions principales du multivers : de la forme, de la non-forme et du désir) sans limites, toute la réalité des phénomènes qui se manifestent, est présente de manière illusoire. C’est le filet d’illusion du monde, de l’univers (Māyājāla). Cette réalité illusoire des phénomènes est en fait une émanation multiple de la nature primordiale.
Ainsi, avec la manifestation du temps (les quatre temps) et de l’espace (les dix directions), les cinq luminosités de la Base – les cinq sagesses – sont les cinq éléments, la base-même de la manifestation de tout le multivers et de toutes les dimensions des phénomènes. Ces cinq éléments, c’est d’abord l’espace dont jaillissent tous les autres : l’air, l’eau, le feu et la terre. Leur danse et leurs échanges donnent naissance par mélange, agrégation, aux phénomènes multiples constituant notre réalité : les sensations (agréables, désagréables et neutres), les pensées, les émotions, le soi, les perceptions liées aux sens, les étoiles, les planètes, la terre, les montagnes, les rivières, les nuages, les arbres, les fleurs, les plantes, les animaux, les humains et le barbecue.
Pour le Dzogchèn, tout ce qui se manifeste pour nous – que l’on ait l’impression que cela se présente à l’extérieur (les autres êtres, la terre, le ciel, l’espace, l’univers…) ou à l’intérieur (les pensées, les sensations, les émotions, etc.) – ne peut être qu’au sein de notre propre esprit. L’infiniment grand ou l’infiniment petit sont de simples manifestations de la nature primordiale de notre esprit.
[1] Le Guhyagarbha tantra (Le Tantra de la Quintessence Secrète ; tib. : rgyud gsang ba’i snying po), est l’enseignement racine du cycle des Tantras du Mahayoga et le texte le plus fondamental pour les Nyingmapas en ce qui concerne la vue des Tantras et même du Dzogchèn. En effet, le chapitre 13 du Guhyagarbha, « La Guirlande des Vues » expose les enseignements des Tantras dans la perspective de leur achèvement par la pratique de la Grande Perfection. Pour en savoir plus : https://www.rigpawiki.org/index.php?title=Guhyagarbha_Tantra BACK
[2] Manuscrits de Dunhuang, Pelliot Tibétain 322B. Vous pouvez trouver une autre version par Sam van Schaick ici : https://earlytibet.com/2008/01/24/early-dzogchen-iii/ BACK
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