Les qualités d’un disciple selon la tradition

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Écrit par Paul Baffier

Paul, traducteur du tibétain en anglais et français. Il a été formé à l’INALCO et au Rangjung Yeshe Institute.

Blog | Culture et traditions | L'aventure Dzogchèn

Dans «Les qualités d’un disciple selon la tradition» nous apprenons qu’avoir du respect pour soi-même peut nous apprendre à dépasser le soi.

Série: Le chemin spirituel dans le Dzogchèn

 

Les qualités d’un disciple selon la tradition

Jamyang Khyèntsé Wangpo, dit-on, ne demandait à ses étudiants qu’une seule chose pour commencer le chemin : avoir du respect pour soi-même.

Cela peut sembler peu de choses, mais ce peu est grand.

À notre époque, nous sommes en effet assez accoutumés à de nombreuses formes d’irrespect envers nous-mêmes, qui sont intrinsèques à nos conditions de vie. Notre écosystème est saturé de pollutions diverses, notre nourriture est souvent de piètre qualité, notre travail nous déplaît et nous stresse, nos relations familiales ne sont pas toujours au beau fixe, notre santé s’en ressent… On pourrait lister indéfiniment les problématiques.

Dès lors, avoir pour pierre de fondation de cultiver le respect de soi, de connaître ses limites, de savoir se dévouer à une cause mais aussi de savoir s’arrêter et se reposer, etc., en bref, de retrouver le temps long de soi-même et d’une vision de soi-même, avoir une vision profonde sur notre être, ce n’est peut-être pas une mauvaise idée…

En tibétain, « disciple » ou, dans notre contexte sécularisé, « étudiant », se dit « dultcha » (gdul bya), ce qui signifie quelque chose comme « être à dompter, discipliner, apprivoiser ».

Pour ma part, j’apprécie bien la métaphore de l’apprivoisement car nous sommes tous un peu, à notre manière, un animal sauvage qu’il convient d’approcher et d’amadouer, pas à pas, gentiment. Un animal sauvage qui a des trésors en soi, des forces intérieures prodigieuses, mais que, tout à sa soif de liberté illusoire et vagabonde, il dilapide — et ce, sans pouvoir les canaliser en direction de la liberté ultime, elle qui est libre de tous les concepts de liberté. 

« Nous sommes tous un peu, à notre manière, un animal sauvage qu’il convient d’approcher et d’amadouer pas à pas. »

Il ne s’agit pas, alors, de voir la méthode du domptage comme un passage en force ou une soumission. Bien au contraire, les grands dompteurs de chevaux rétifs leur apprennent à transcender leur peur, corps à corps et souffle à souffle, pour leur enseigner quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes : œuvrer ensemble au bien commun. L’union des deux, à ce moment-là, transcendera le simple binôme, pour rejoindre l’immensité de l’espace qui contient l’infinité des êtres… à apprivoiser à leur tour.

Oui, c’est ainsi : dans la relation collaborative à son enseignant, le disciple découvre au fur et à mesure les ressources merveilleuses de ce lien unique entre tous, ressources qu’il n’avait qu’entraperçues au début, et qui font la richesse de son chemin, ses joies comme ses challenges.

La tradition parle ainsi des trois caractéristiques (mtshan nyid gsum) du disciple, des trois qualités qui structurent son chemin et vont y gagner en intensité au fur et à mesure :

Tout d’abord, (1) un esprit clair (blo gsal) :

pas besoin d’avoir fait de grandes écoles, il suffit simplement de bien vouloir s’interroger sur le sens de l’existence, de savoir se remettre en cause, de prendre en compte les leçons de ses expériences, heureuses ou malheureuses. En bref, il faut savoir apprendre, ou en tout cas, essayer d’apprendre à apprendre. Donc, continuer, petit à petit et chacun à sa mesure, d’exercer son intelligence, d’étudier, réétudier et décortiquer les enseignements, de faire les liens entre les différents niveaux de compréhension et de pratique, pour voir progressivement émerger leurs grandes structures internes et leur cohérence intrinsèque.

Ensuite, (2) le désir de connaître (shes ‘dod) :

on pourrait dire aussi “l’appétit pour la connaissance”, “la soif de savoir”, la curiosité : c’est elle, en effet, qui va nous pousser plus loin sur le chemin de la compréhension et qui va nous permettre le retour réflexif sur nos expériences provisoires ; c’est cette curiosité qui va nous entraîner à étudier la tradition (par les livres, par les voyages, par les visites et les pèlerinages), et c’est cette connaissance patiemment accumulée qui va nous permettre de requérir avec mesure et raison des enseignements adaptés. Car, nous dit l’adage, « on ne reçoit pas d’enseignement si on ne le demande pas ».

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Enfin, (3) le respect au(x) maître(s) (gus pa) :

le terme est traduit par « respect », mais il a aussi une connotation d’enthousiasme, d’appréciation profonde, de sentiment de réjouissance devant la beauté et la grandeur ; c’est une estime mêlée d’humilité ; selon les tempéraments et les appétences terminologiques de chacun, on pourra également le traduire par « dévotion » ou « vénération » pour les plus old school d’entre nous.

Un mot de précaution ici :

le respect au maître, certes, a ce quelque chose de naturel de la manifestation spontanée d’un lien direct, profond, naturellement présent depuis toujours. C’est l’expérience de retrouver ce qu’on a toujours cherché sans jamais arriver à mettre un mot ou un visage dessus ; c’est, pour certains, comme se retrouver devant un très vieux parent, l’ancêtre d’une famille oubliée, plus proche et plus intime que tous les liens qu’on avait pu se faire jusqu’à présent.

Néanmoins, pour un certain nombre d’entre nous, ce lien se construit tranquillement par l’observation patiente et mesurée des actes et paroles du maître, lequel se comporte selon les Quatre attraits (bsdu ba bzhi : don de ce qui est nécessaire, paroles bienveillantes, conduite remplie de sens et conforme aux enseignements, cohérence entre les mots et les actes). Il est régulièrement répété que l’on peut, sans que cela soit une faute, observer un maître une dizaine d’années avant de s’engager auprès de lui comme disciple. « Patience est mère de vertu ». 

 

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Sans aller aussi loin, il pourrait être bien, à notre époque faite d’urgences, de lives et de messageries instantanées, de prendre le temps d’examiner et d’interroger (diplomatiquement et paisiblement) la conduite de quelqu’un qui se présente comme enseignant ou maître. Il ne s’agira en aucun cas de mettre en cause ou de confronter publiquement (ce que la tradition tend à réprouver), mais bien plutôt d’explorer ce que disent les textes, diserts en la matière, sur les qualités et pré-requis nécessaires à la délivrance de l’enseignement vaste et profond, et à l’exercice d’un magistère spirituel en général.

Ce « respect au maître », qui est la troisième qualité du disciple, est donc très loin de tout aveuglement béat et de tout fanatisme, loin aussi de toute opposition systématique stérile. Ce respect est fondé sur l’analyse, la réflexion, la comparaison entre ce que disent les textes traditionnels des maîtres, et ce que le maître incarne de son enseignement (dans les conditions qui sont les nôtres, différentes des conditions traditionnelles indo-himalayennes).

Cela dit, il est vrai qu’avec le temps, notre compréhension des extraordinaires qualités des maîtres de notre temps s’accroît. Et le respect se transforme en une admiration (autre traduction pour gus pa) sans borne, que ces mots sont bien incapables de rendre.

Respecter ce qui nous dépassera toujours, c’est cela, le plus grand des respects de soi.

 

 

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