Les Cinq Dégénérescences – partie 1
Écrit par Paul Baffier
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Les “Cinq Dégénérescences” est un outil de compréhension du pourquoi-on-se-sent-mal , de notre éco-anxiété et du déni qui lui est corollaire.
Série : Les conditions difficiles dans le Dzogchèn
Les Cinq Dégénérescences – Partie 1
Les “cinq dégénérescences” est un grand thème classique de la tradition indo-tibétaine, contexte dans lequel est apparu le Dzogchèn.
On traduit “cinq dégénérescences” (snyigs ma lnga) car la tradition envisage les cycles d’évolution et de dévolution des conditions des êtres dans l’univers sur le temps long…très long. On est loin ici d’une nostalgie de la société d’avant la crise pétrolière, d’avant mai 68 ou d’avant les révolutions américaines et françaises par exemple !
Si vous êtes habitué aux films de zombies et au genre post-apo en général, vous serez dans votre élément. Par contre, il est clair que ce type de référence culturelle est assez éloigné de notre imaginaire progressiste et positiviste où il est envisagé que le concert des intelligences permettra de déployer un monde meilleur et plus juste.
Les “cinq dégénérescences”, c’est une réflexion, un outil de compréhension du pourquoi-on-se-sent-mal ces temps-ci, notre éco-anxiété collective (Solastalgie et Dzogchen) et le déni qui lui est corollaire.
Ces “cinq dégénérescences” sont donc : celles de la durée de vie-vitalité (tshe), des passions (nyon mongs), des mérites ou des activités (las) des êtres (sems can), de l’époque (dus) et de la vue (lta ba).
“Si vous êtes habitué aux films de zombies et au genre post-apo en général, vous serez dans votre élément. Par contre, il est clair que ce type de référence culturelle est assez éloigné de notre imaginaire progressiste et positiviste où il est envisagé que le concert des intelligences permettra de déployer un monde meilleur et plus juste.”
Pour donner un peu de contexte, commençons par les deux premiers, l’époque (dus) et la durée de vie-vitalité (tshe) :
L’époque (dus)
La tradition parle de snyigs dus, que l’on pourrait traduire par “époque pourrie”, car snyigs veut aussi dire “détritus” ; on trouve parfois rtsod dus, “âge des querelles”. Ces termes puisent dans le vieux fonds culturel de la pensée indienne des quatre âges : il a existé un âge d’or lointain où il n’y avait ni soleil ni lune dans le ciel et où tous les humains, immensément grands et se déplaçant miraculeusement dans l’espace, étaient éclairés de leur propre luminosité naturelle et se nourrissaient de nectar divin. Leurs émotions et leurs actes dégénérèrent au cours des millénaires à travers deux autres âges… jusqu’à notre époque, le dernier âge, où ce processus s’accélère et où, disent certaines prophéties, le Dzogchen est l’enseignement le plus approprié pour les êtres.
La durée de vie-vitalité (tshe)
Selon la tradition, la durée de vie a dégénéré progressivement. Les êtres humains vivaient quatre-vingt mille ans [1] à l’époque où régnait le monarque universel Daḷhanemi. Mais à cause de la disparition de la compréhension du rituel de la roue universelle chez le septième successeur de Daḷhanemi, ne connaissant pas ses devoirs royaux, il se mit à gouverner “selon ses propres idées”, ce qui conduisit au déclin des royaumes. Notamment, il ne donna par d’argent aux pauvres, ce qui entraîna une pauvreté plus grande, ce qui entraîna le vol, ce qui entraîna l’usage des armes, ce qui entraîna le meurtre, ce qui réduisit la durée de vie des enfants de ceux qui furent nos premiers ancêtres.
Leur durée de vie passa à quarante mille ans, durée de vie qui, à cause du mensonge, décrut à son tour, ce qui réduisit encore leur durée de vie… qui passa à vingt mille ans, durée de vie qui décrut à son tour à cause de la médisance et passa à dix mille ans, durée de vie qui décrut à son tour à cause de la méconduite sexuelle et passa à cinq mille ans, durée de vie qui décrut à son tour à cause des paroles dures et superficielles et passa à deux mille cinq cents ans, durée de vie qui décrut à son tour à cause de la colère et du désir pour les possessions d’autrui et passa à mille ans, durée de vie qui décrut à son tour à cause des vues fausses [2] et passa à cinq cents ans, durée de vie qui décrut à son tour à cause des fausses croyances, du désir et de l’avidité incontrôlés et passa à deux cents cinquante ans, durée de vie qui décrut à son tour à cause du manque de soin pour les parents et de l’absence de respect pour les détenteurs de savoir et passa à cent ans… jusqu’à celle que nous connaissons maintenant.
En 2025, c’est à peu près quatre-vingt ans pour les hommes et quatre-vingt-quatre ans pour les femmes en Europe (selon les statistiques de l’Institut National d’Études Démographiques, chiffres de 2023).
À notre époque, nous plastifions la nature ce qui peut conduire à des famines, et nous détruisons notre écosystème, donc notre vitalité.
Selon les prévisions de la tradition, notre espérance de vie va décroître encore pour atteindre dix ans seulement. Les actes bienveillants disparaîtront même entre parents et enfants, jusqu’à ce qu’on oublie le vocabulaire même de la bienveillance et tout concept associé à la bonté.
Alors, ces êtres humains qui seront nos descendants, réduits à un stade presque animal, se chasseront entre eux furieusement avec des couteaux, en hurlant. Seuls certains se cacheront dans des lieux isolés, et ils auront à ce moment-là une vraie bonne idée :
“ne tuons plus personne”.
Ils reconstruiront peu à peu des liens de fraternité et leurs enfants vivront 20 ans… lesquels auront à nouveau des actions bienveillantes ce qui conduira leurs enfants à vivre 40 ans… etc, jusqu’à 80 000 ans.
Patrul Rinpoché fait un résumé dans Le Chemin de la Grande Perfection (chapitre “Autres exemples de l’impermanence”), un livre essentiel sur le Dzogchèn, mais si vous voulez lire sa source, lisez le Soutra du Monarque Universel, un beau programme où l’apocalypse, arrivée à son dernier stade, finit par repartir en sens inverse, dans une si vaste conception cyclique du temps qu’elle donne le tournis… et élargit l’horizon de notre action présente.
À suivre pour les trois dégénérescences qui restent :
les passions (nyon mongs), les mérites des êtres (sems can), et la vue (lta ba).
[1] Certes, le terme signifie bien “années”, mais il s’agit en fait de périodes de croissance et de déclin liées à l’apparition d’un être éveillé ou à l’action d’êtres néfastes. RETOUR
[2] Vue fausse : en tibétain “log lta” (en sanskrit : mithyā-dṛṣṭi), ce qui signifie que l’on rejette la loi de causalité (conséquences et interdépendance de nos actions) et que l’on en méconnaît la nature vide par croyance en leur inexistence (nihilisme) ou leur existence (éternalisme).RETOUR
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