La montagne est vivante ! 1
Ecrit par Paul Baffier
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Dans « La montagne est vivante ! 1 », Paul évoque le lien traditionnel entre nature et vivants, considérant terre et êtres pareillement vivants.
La montagne est vivante ! 1 : Le savoir lumineux des pierres vivantes.
Dans sa superbe autobiographie que je vous invite à lire, le premier Dilgo Khyèntsé, un des plus grands maîtres Dzogchèn du XXème siècle, décrit le lieu qui l’a vu naître :
« Ce vaste territoire est traversé par de vastes vallées herbeuses dans lesquelles de nombreuses rivières, s’écoulant en partant de petites vallées, créent la forme d’un lotus épanoui en huit pétales, orné de nombreuses maisons en son centre et entouré de champs bien labourés et agrémentés de céréales. À son extrémité, une montagne massive, entièrement entourée de forêts, de rochers et de collines bien dessinés et couverts de vertes prairies. Tandis que la déesse de l’hiver en garde le sommet, celui-ci est enveloppé d’un turban blanc de neige qui l’enserre comme un anneau.
» Traditionnellement, le paysage-écrin dans lequel nous naissions était le réceptacle d’une vie millénaire, à la fois chtonienne et divine, qui accueillait chaque génération humaine avec la bienveillance ancestrale d’une montagne qui peut voir une civilisation naître et mourir sur ses flancs en quelques instants. «
Des quatre grands fleuves de l’Amdo, seul le Yangtsé, tel d’or liquide, coule d’ouest en est. Sur la rive droite du Yangtsé, des centaines de drapeaux ondulent doucement, comme des bannières de victoire conquérant toutes les directions. Comme un joyau rocheux flamboyant au sommet du majestueux mont Merou, cette colline est ornée de la demeure de la divinité locale qui veille sur la région, le grand Barlha Tsegyal et son entourage. En contrebas, dans une gorge étroite, se trouve une rivière aux myriades de vagues qui semblent danser dans l’espace, s’écoulant du sud-est au sud-ouest. Sur la rive gauche de cette rivière se trouve une colline ayant la forme du symbole de bon augure des poissons entrelacés, et, situé au cou des poissons, se trouve le manoir de Dilgo. Autour, le ciel, les montagnes à droite et à gauche, les ruisseaux, les voies, et ainsi de suite, apparaissent comme les figures des huit signes auspicieux.
Les régions centrales de Ga et de Den produisent un abondant festin de céréales et de fruits cultivés et sauvages, de plantes médicinales et les agriculteurs et les nomades jouissent d’une grande prospérité. La région dispose de toutes les ressources dont elle a besoin, et est connue sous le nom de Denma [« Pourvue »] car elle est dotée d’un trésor de richesses et toujours, le fleuve Yangtsé, tel d’or liquide, coule en son milieu. » [1]
Vous trouverez dans la littérature tibétaine, mille et une descriptions semblables. Elles nous renseignent sur une chose : le paysage est vivant. Spectaculaire, poétique, chargé de symboliques liées à la culture bouddhiste tibétaine, riche de cent mille anecdotes, oui… mais plus encore que toute cette anthropomorphie plaquée sur son relief…Vivant ! Car la divinité locale veille sur la région avec son entourage…
Traditionnellement, le paysage-écrin dans lequel nous naissions était le réceptacle d’une vie millénaire, à la fois chtonienne et divine, qui accueillait chaque génération humaine avec la bienveillance ancestrale d’une montagne qui peut voir une civilisation naître et mourir sur ses flancs en quelques instants. Sacrée pour les hommes, la montagne était un univers vivant de ressources et de sagesse dont il fallait justifier l’exploitation et la place au sein des cosmogonies sacrées.
Dans les géographies sacrées, népalaises, tibétaines, françaises, irlandaises, on retrouve toujours ces histoires où la pierre s’est faite le reflet des forces de l’esprit. C’est là où le roc s’est transformé spontanément en statue de déité, sans sculpteur ni érosion ; là où la montagne s’est fendue en deux par le coup d’épée d’un guerrier ou d’un dieu ; là où le dragon est vaincu par Saint-Michel, où la vouivre est domptée par la bénédiction de l’autel ; là où le géant a bâti sa jetée ; là où la syllabe sacrée est apparue ; là où le renonçant s’est réalisé… Nombreux sont les rappels géographés — géoglyphés — de la nature de l’esprit dans sa puissance incandescente, transformatrice, manifestante. Sous des formes évoquant des qualités éveillées spécifiques, ces rappels sont lisibles tels des livres chtoniens porteurs d’un savoir éveilleur. Plus encore, ces savoirs doivent être expérimentés en utilisant les lieux comme des écrins, des matrices d’éveil : chaque localité possède sa force qui, par les pratiques de concentration afférentes, révèlera la splendeur lumineuse intrinsèque de l’être.
Au Tibet, ce savoir chtonien, ancestral, précédant toute tradition écrite, a été capté et retranscrit par les traditions bönpos puis bouddhistes : « gdod ma’i chos lugs » dit-on, « tradition des origines », « savoir autochtone », « religion ancestrale ».
Allez dans ces lieux incroyables, la force de la terre y transcende toute idéologie préconçue.
[1] Brilliant Moon, The Autobiography of Dilgo Khyentse, transl. by Any Jiba Palmo BACK
Cette série d’articles est tirée de quelques lectures essentielles :
Divine Dyads, Ancient Civilization in Tibet, John Vincent Bellezza
Oracles and Demons of Tibet: The Cult and Iconography of the Tibetan Protective Deities, René Nebesky-Wojkowitz BACK
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