La femme et le vampire

Written By Mila Khyentse

Mila Khyentse est un enseignant français du Dzogchèn et du Bouddhisme tibétain et l'initiateur du projet Dzogchen Today!

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Avec cet article “La femme et le vampire” écrit par Mila Khyentse Rinpoché, c’est Halloween dans les Himalayas !

La femme et le vampire

Il y a longtemps, mais pas si longtemps que cela, vivait un couple à proximité du monastère dans lequel vivait mon maître Dzogchèn, Lobsang Dargyé Gyamtso Rinpoché, alors jeune novice.

Ce couple était comme beaucoup de couples tibétains à l’époque : besogneux, industrieux et bons commerçants. Le mari conduisait régulièrement sa caravane de l’Est du Tibet, en Amdo, vers les plaines chinoises du Sichuan et du Yunnan pour acheter du thé et vendre du sel ou du minerai, principalement. Il partait souvent pour des mois de voyage et revenait les yacks lourdement chargés. Puis il repartait, quelques mois plus tard.

Un jour, laissant à sa femme la gestion de leur boutique, comme il était ainsi de coutume, il devait cette fois-ci repartir pour deux mois. Nous étions au début du mois de mars et il devait donc revenir vers le début du mois de mai.

La femme, durant ces deux mois, s’acquitta de sa tache excellement bien, comme toujours. La journée, elle vendait ou échangeait les produits et le soir, elle rapiéçait, rafistolait les vêtements du couple ou en cousait de nouveau, en compagnie de sa famille ou d’amies de passage.

Comprenant que ce qu’elle avait pris pour son mari, n’était pas vraiment lui, la femme se figea sur place… Elle mourut trois jours après.

Un jour du début du mois de mai, la porte s’ouvrit avec fracas à la tombée de la nuit, peut-être poussée par une bourrasque de vent, pensa la femme. Quelle ne fut pas sa surprise et sa joie lorsqu’elle vit son mari entrer aussitôt la porte ouverte ! Ça y est, il était enfin rentré de voyage ! Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre, et elle ne pût s’empêcher de noter à quel point il avait maigri et comme son teint était devenu émacié. Cela doit être la fatigue et les épreuves de la marche et du voyage, se dit-elle.

Elle lui posa d’emblée beaucoup de questions : avait-il suffisamment mangé ? S’était-il suffisamment reposé pendant les haltes ? Avait-il fait de bons profits en ville ? Son mari souriait mais ne pipait mot. Il montra sa gorge comme s’il ne pouvait pas parler. Peut-être un coup de froid ?

Elle lui intima alors gentiment l’ordre de s’asseoir le temps qu’elle prépare une bonne thoukpa, une soupe de pâtes, bien revigorante. Ils mangèrent en silence tout en se souriant, la femme ponctuant simplement le repas de petites phrases anodines.

Puis, ils allèrent se coucher et la décence m’interdit de parler de ce qui s’ensuivit, même si l’histoire que j’ai entendue de la bouche de mon maître ne mentionnait non plus rien de cela, à part peut-être quelques rires…

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Au matin, le lit était vide du côté du mari. La femme, inquiète, se leva, s’habilla à la hâte et partit en courant en direction de l’entrepôt de son mari, où étaient ses bêtes et ses marchandises, pensant le trouver logiquement là-bas. Personne n’était arrivé, il était encore trop tôt, et pas la moindre trace de son mari.

Puis, Pènpa, un des employés chargés de nourrir les yacks, arriva. Elle nota de suite qu’il devint livide lorsqu’il la vit. Elle lui demanda s’il avait vu son patron, mais tout ce qu’elle obtint comme réponse fut : « désolé, désolé, nous aurions dû venir plus tôt ! Désolé ! Mais nous ne voulions pas vous déranger hier soir… ». Pourquoi était-il désolé ? Elle se demandait juste où son mari était passé car il avait quitté la maison très tôt ce matin après être rentré la veille au soir et elle ne comprenait pas pourquoi il avait disparu à cette heure-là. Pènpa blêmit encore plus. Il finit par dire : « Madame, votre mari a fait une chute mortelle dans les montagnes lors de notre retour il y a de cela plus d’une semaine ».

Comprenant que ce qu’elle avait pris pour son mari, n’était pas vraiment lui, la femme se figea sur place… Elle mourut trois jours après.

Le monde tibétain regorge d’histoires terrifiantes comme celles-ci. Des histoires à faire peur que l’on raconte le soir à la veillée.

Cette histoire, mon maître me la raconta un soir alors que l’on abordait la transmission de la pratique qui « dompte les huit classes d’êtres malfaisants ». Pour lui, la mort violente du mari de cette femme, que mon maître avait tous deux connus, avait permis à un démon, une sorte de vampire, de prendre la force de vie de la veuve qui s’ignorait. C’est en tous les cas ce qui s’était raconté à l’époque, puisqu’elle ne s’était pas donné la mort.

Attention donc à qui l’on fait entrer chez soi lorsqu’une bourrasque de vent ouvre notre porte, surtout à la tombée de la nuit !

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