Impermanence, inconstance et intégration

Écrit par Damien Brohon
Blog | L'aventure Dzogchèn | Les bases du Dzogchèn
Dans « Impermanence, inconstance et intégration », Damien évoque comment l’impermanence nous conduit à l’immuable.
Série : Comment pratiquer le chemin du Dzogchèn ?
Impermanence, inconstance et intégration
C’était si réel et cela a disparu comme un mirage.
Quoi ?
Cette maison près de mon ancienne école que je connais depuis toujours et qui a été détruite. Ce que je croyais dur comme fer il y a dix ans. La journée d’hier. Les rêves de la nuit dernière, si intenses mais que j’ai complètement oubliés. Le ciel d’il y a une heure – radieux et devenu très sombre. La pensée d’il y a une minute (c’était quoi déjà ?). Tout cela est comme un mirage apparaissant, bien sûr, mais dénué de réalité.
Les moments où nous prenons conscience de l’impermanence fondent les bases de notre chemin spirituel dans une approche graduelle (commune avec le bouddhisme) du Dzogchèn. Ce sont en effet des moments de vérité. Ce ne sont pas juste la maison ou le ciel qui changent mais bien toutes les choses comme tous les êtres. C’est juste nous qui nous en rendons compte à un moment précis parce que – pour des raisons mystérieuses – cette réalité omniprésente est venue nous toucher personnellement.
“Chaque moment de distraction est l’occasion d’un retour à la contemplation de l‘essence de l’esprit. Tout est clair, vif et frais.”
La vie des maîtres est imprégnée de la conscience du caractère éphémère et incertain de l’existence. Sans cela, nous nous enferrons dans le déni et inventons des entités à la permanence factice. Nous nous identifions à l’image d’un « moi » substantiel restant identique à lui-même en dépit de tous les changements et de toutes les preuves constantes de son insubstantialité. Nous inventons un monde aux propriétés stables et définitives qui sont toujours à réinventer tant il est fondamentalement instable. Bref, « Trompés par toutes sortes d’apparences, à l’image du reflet de la lune sur l’eau, les êtres sensibles errent le long de la chaîne de l’existence samsārique. » [1] Lors des moments comme ceux qui viennent d’être évoqués plus haut, dans la pratique ou lors d’enseignements, tout cela est l’évidence même. Elle est le moteur même d’un chemin dédié à l’éveil des êtres (soi compris) pour qu’ils puissent « (…) demeurer spontanément dans la luminosité d’évidence primordiale (…) »[2]. Dans cette perspective, chaque changement est un rappel de la Vue, c’est-à-dire la vision de la nature de la réalité.
Il arrive aussi que nous oubliions cela, même après en avoir eu une conscience aiguë. Cette distraction nous ramène à nos constructions fictives et donc à l’errance, car elles ne correspondent à rien de réel. Telle est l’inconstance d’un esprit qui n’a pas encore pleinement stabilisé la reconnaissance de sa propre nature : son accès à celle-ci est impermanent tant le poids des habituations karmiques est prégnant. Telle est l’infinie créativité de l’esprit qui peut aussi bien reconnaître sa nature que la perdre de vue : « Vaste espace matriciel apparu de lui-même, inexprimable, où il n’y a ni notion d’errance cyclique ni de son au-delà. Quand il est connu, c’est la plénitude du pur Éveil, quand il n’est pas connu, c’est l’errance dans le cycle de l’être ordinaire. » [3] C’est donc soit un mouvement perpétuel car inquiet, c’est-à-dire ne trouvant jamais la quiétude dont il est toujours en quête ; soit le quatrième temps – l’au-delà du temps. D’où la nécessité d’un rappel. D’où l’urgence de revenir à ce qui ne nous a jamais quitté.
La tradition du Dzogchèn parle de ce processus en termes de pouvoir de manifestation de l’esprit (rtsal) qui rayonne (rol) sous la forme des phénomènes multiples, chatoyants et insaisissables de notre expérience (rgyan). Ces ornements sont, pour une ou un pratiquant du Dzogchèn qui a appris à les reconnaître directement, l’expression même de la nature immuable de l’esprit. Que cette expression soit diverse n’est plus une cause de confusion car la source est reconnue comme étant toujours la même. On peut ici parler d’intégration dans le sens le plus profond. Chaque moment de distraction est l’occasion d’un retour à la contemplation de l‘essence de l’esprit. Tout est clair, vif et frais. Chaque seconde est un présent éternel – hors du temps. C’est ainsi que l’impermanence et même l’inconstance nous conduisent à réaliser la nature immuable de l’esprit.
[1] Extraits des Prières des pratiques préliminaires du Longchèn Nyingthig, trad. Lama Pemo Tsultrim, Lama Kunsang Dorje et Mila Khyentse Rinpoché. RETOUR
[2] Ibid. RETOUR
[3] Le puissant chemin d’aspiration du Tout-Excellent, trad. Comité de traduction Dzogchen Today!.RETOUR
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