Hic et nunc

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Écrit par Grégoire Langouet

Doctorant à UCLouvain (Belgique), co-directeur des éditions Vues de l'esprit, traducteur du tibétain.

Blog | L'aventure Dzogchèn

Dans « Hic et Nunc », Grégoire essaie de répondre simplement à cette question : « sur le chemin quand reconnaissons-nous la nature primordiale ?

Série : où pratiquer le chemin du Dzogchèn ?

 

Hic et Nunc

 

Dans les traditions bouddhistes et dzogchen, à propos des pratiques méditatives, les enseignant.es parlent souvent de « revenir au présent » : se concentrer dans l’instant – ne pas se suivre le passé, ni anticiper le futur ; et pas même conceptualiser le « présent ». Ce sont des instructions essentielles, très simples car profondes, simples donc pas si faciles à intégrer.

Car combien de temps passe-t-on chaque jour à anticiper l’avenir ou à se remémorer le passé  ? Pas forcément très loin – comme la fin du capitalisme ou l’origine du feu – mais ce qui vient de se passer, il y a quelques minutes, ou ce qui va arriver, dans quelques heures. Prenons le temps d’observer cela. On pourra alors en déduire combien de temps nous passons réellement au présent – présents à l’instant, là, maintenant. Et dans ces traditions, hors du présent, nul cheminement.

Lorsque l’on s’engage sur un « chemin spirituel », une manière de vivre toute particulière, il s’agit bien de partir de là où l’on est – point A –, pour arriver à un autre état – point B –, et ce, parce que A ne nous satisfait pas. On cherche donc à le transformer en rejetant ce qui nous dérange et recherchant ce dont nous pensons avoir besoin. Nous avons donc l’impression qu’il nous faut parcourir une certaine distance entre ce que nous sommes et ce que nous pensons devoir être – pour être heureux, joyeux, éveillé, qui sait. Il y a donc du temps qui doit passer… Il y a un avant, et un après. Mais est-ce bien en courant vers l’après pour s’éloigner de l’avant que nous y parvenons ? Car il semble que le but soit alors à jamais repoussé. Comme les limites de l’univers : plus on avance, plus ça s’ouvre, encore et encore…

 

« Mais dans tous ces cas, la pratique se fera toujours dans l’instant — hic et nunc auraient dit nos ancêtres latins. « 

dzogchentoday-hic-et-nunc-2.jpg ©Maréva Bernard

L’horizon que fixe ces traditions, la visée du cheminement, est dénommé l’Éveil, l’Illumination traduisait-on parfois à partir de l’anglais « Enlightenment » (et la métaphore de la lumière n’était pas inintéressante) – l’Éveil ou la plénitude du pur éveil, préférons-nous dire dans le Comité de traduction de Dzogchen Today!. Cet éveil donc, est-il ainsi plus ou moins loin de nous sur notre chemin ? Oui… et non…

Oui, relativement, si l’on pense aux innombrables existences que l’on passe, avons passées et passerons peut-être à s’entraîner, purifier, transformer. Ce serait la perspective graduelle des véhicules bouddhistes. Mais non, selon la Grande Perfection. Dans sa forme radicale, l’éveil n’est nul par ailleurs qu’ici et maintenant, tout de suite, ici, là – sans pour autant n’avoir aucun lieu : la sphère unique, comme la nomme la tradition. Nulle part ailleurs où chercher, car cela ne pourrait que nous en détourner.

Ainsi, chaque instant de pratique, formelle sur son coussin ou dans nos activités quotidiennes, est une porte sur l’éveil – une voie d’accès à la Grande Perfection. Il n’y a qu’au présent qu’elle nous est accessible. Elle est toujours là, à nous attendre sans attendre. Sauf que nous sommes souvent un peu aveugles et sourds – d’épais rideaux nous la voilent (mais les métaphores vaudraient avec tous les sens).

Ces différentes vues, visions ou perspectives sur la réalité – éveil-après, éveil-là-mais-voilé-à-révéler-développer, et éveil-toujours-déjà-là-juste-à-reconnaître – correspondent aux différents véhicules de ces traditions : véhicule de la cause, véhicule du fruit et véhicule de la base. Un véhicule nous permettant bien d’aller de A à B. Mais dans tous ces cas, la pratique se fera toujours dans l’instant — hic et nunc auraient dit nos ancêtres latins.

Pas de chemin sans présent. Pas d’atteinte du résultat hors de l’instant. Pas de reconnaissance de la Base dans le temps.

Précisons toutefois qu’il n’y aucun problème en soi avec le « passé » ou le « futur ». Ils ne sont simplement que des concepts, des idées saisies, générales et floues, des abstractions qui nous détournent de notre nature fondamentale. Ils sont de l’illusion manifestée dont l’essence de vacuité-luminosité n’est pas reconnue – mais bientôt, certainement, le sera…

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