Un (faux) départ

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Écrit par Mila Khyentse

Mila Khyentse est un enseignant français du Dzogchèn et du Bouddhisme tibétain et l'initiateur du projet Dzogchen Today!

Blog | L'aventure Dzogchèn

Dans “Un (faux) départ”, Mila Khyentse parle des deux types de chemin dans la tradition du Dzogchèn et des jambes nécessaires pour les “arpenter”.

Série : Le chemin du Dzogchèn

 

Un (faux) départ

Dans la tradition Dzogchèn récente, il y a deux commencements possibles : commencer ou achever.

Si nous prenons la tradition première du Dzogchèn, ce que l’on pourrait appeler le Dzogchèn radical ou Dzogchèn ancien des Vidyadharas originels, il n’y a pas de début ni de chemin : c’est une voie d’accomplissement immédiate. Elle correspond aux êtres qui ont une maturité spirituelle certaine et qui ont donc parcouru un chemin de préparation auparavant, souvent pendant un temps très long (dans les traditions Dzogchèn et Bouddhiste, cela peut se compter en éons, vraiment très long !), sous une forme ou une autre. La caractéristique de cette (non-)voie est qu’elle est parcourue par les êtres d’éveil (Bodhisattvas) qui ont réalisé l’absence d’existence réelle de chemin et donc peuvent parcourir celui de la Grande Perfection. Une voie d’accomplissement immédiate se passe dans l’instant et ne s’envisage pas comme une progression vers la Grande Perfection de toutes choses. Dans cet aspect du Dzogchèn, la Grande Perfection est ici et maintenant et, même si on a l’impression qu’elle n’y est pas, elle y est quand même. C’est le genre de vision que peuvent maintenir les êtres d’éveil sur ce chemin spirituel qui n’en est pas un. On l’appelle aussi la « voie de la vacuité » car c’est ce qui est perçu à la Base de toute la réalité des expériences et des phénomènes de l’existence.

Je sais, on n’y comprend rien…

“Nous pouvons désormais arpenter le chemin qui n’en est pas un. Et nous réalisons alors qu’il n’y a jamais eu de départ et qu’il n’y aura donc aucune arrivée.”

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Donc, pour nous autres, pauvres hères qui n’accédons pas directement à la vacuité, il y a un chemin plus « facile » (voir également à ce propos l’article de Vincent), consécutif, avec une illusion de vision, de chemin et de résultat. C’est le Dzogchèn graduel, plus récent, que l’on peut également qualifier de « chemin des apparences », où nous utilisons tout ce qui se passe dans l’existence pour reconnaître que rien n’est vraiment réel ni en soi ni par soi, que tout est vide d’existence propre, et ainsi arriver graduellement à la vision de la vacuité à la Base. Ainsi, sur ce chemin (illusoire), nous avons une pratique préliminaire, puis une fois celle-ci achevée, une pratique principale qui se clôt au profit d’une pratique d’achèvement. Cette dernière correspond finalement au Dzogchèn radical, dont nous venons de parler.

Il est cependant important de spécifier que d’un côté comme de l’autre, le chemin demeure illusoire, puisqu’il finit toujours par être abandonné. Donc, pour la Grande Perfection, ce qui est primordial n’est pas et n’a jamais été le chemin, mais la Base. Ce qui est le plus important est comment nous commençons le chemin (illusoire), une pratique, une action, une pensée, etc. ; c’est-à-dire ce qui nous porte, nous motive, nous transcende, nous permet d’affronter toutes les vicissitudes de l’existence et de les transformer en chemin d’accomplissement. Pour la tradition de la Grande Perfection, on ne peut le faire qu’avec la motivation la plus pure et la plus primordiale : le souhait de vouloir accomplir la Grande Perfection pour le bien ultime de tous les êtres sensibles. C’est la compassion. Le pendant du souhait primordial est la dévotion primordiale. C’est le lien pur et éternel qui nous relie au maître véritable, la Grande Perfection de la Base, viases formes apparentes, la luminosité de l’esprit et « sa matérialisation », le maître extérieur. Souhait et dévotion primordiaux sont les deux jambes qui nous permettent d’arpenter ce chemin qui n’en est pas un. Ils sont la force même de la voie. Compassion et dévotion n’apparaissent généralement pas comme cela, d’un coup de baguette magique. On s’y entraîne jusqu’à percevoir ce qu’elles sont, sans erreur : ni soumission, ni faux-semblants, ni dépendance, ni confusion. Lorsque les deux aspects primordiaux se rejoignent naturellement, nous découvrons la véritable nature de la Grande Perfection lors de l’introduction. Nous pouvons désormais arpenter le chemin qui n’en est pas un. Et nous réalisons alors qu’il n’y a jamais eu de départ et qu’il n’y aura donc aucune arrivée.

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