Créations karmiques
Ou comment parler en quelques mots de cette notion maintenant connue de manière populaire et le plus souvent utilisée pour parler d’autrui : “ It’s your karma, man !”
Écrit par Damien Brohon
Blog | Culture et traditions | Les bases du Dzogchèn
Dans “Créations Karmiques”, Damien nous parle du karma et ce que cela signifie au-delà de l’expression simpliste: it’s your karma, man!
Tandis que l’azur céleste demeure immobile, des sommets de neige immaculée, des maisons encore assoupies et des rangées d’arbres défilent par la fenêtre du TGV. J’écris ces quelques mots après avoir passé une semaine de retraite dans un lieu de silence, perdu dans la campagne, glissé comme un miracle parmi les fermes, les champs et les bois. De fiers oiseaux de proie le survolent, des cervidés l’approchent parfois timidement et, surtout, là, tout aide à porter un regard direct sur le fonctionnement de l’esprit. Durant ces quelques jours, observer directement mon esprit a été ma principale focalisation. J’ai observé ce qui le conditionne mais aussi sa nature véritable, laquelle transcende tous les conditionnements. Voilà ce que permet la pratique du Dzogchèn. Elle offre d’aller regarder et de réaliser comment l’esprit ne se réduit pas qu’aux pensées et aux émotions qui l’occupe, mais est essentiellement espace infiniment ouvert, libre et lumineux. Et joie profonde.
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(…) pensées et émotions sont vues comme la réalité même, alors que ce n’est que notre version de la réalité. Nous avons créé celle-ci, nous avons fabriqué une image limitée de la vie et construit ainsi notre propre prison.
C’est à cela que je songe dans l’entre-deux que constitue le voyage de retour à mon univers familier. Je suis encore imprégné de ces jours de pratique mais les discussions que j’entends, les mails accumulés durant une semaine entière et que je viens juste de lire ou bien encore les titres de l’actualité semblent vouloir me ramener à « la normale », si l’on entend par là le fonctionnement routinier de l’esprit.
Ou pas.
Il n’y a rien de fatal à cela, car il est toujours possible de revenir à cette lucidité de l’esprit. La retraite ou la session de pratique formelle sont ces moments privilégiés où l’on reconnaît et où l’on se familiarise avec la nature de l’esprit pour apprendre à voir qu’à chaque instant elle est présente et, en fait, plus réelle que quoi que ce soit d’autre. Il arrive qu’on reconnaisse cela. Il arrive qu’on le manque. Dans ce dernier cas de figure c’est notre conditionnement qui reprend le dessus : pensées et émotions sont vues comme la réalité même, alors que ce n’est que notre version de la réalité. Nous avons créé celle-ci, nous avons fabriqué une image limitée de la vie et construit ainsi notre propre prison. C’est ce que l’on nomme en sanskrit karma dont la racine (indo-européenne) est KR qui donne en français créer.
Prenons un exemple : si j’ai une tendance à la colère, les situations et les personnes que je vis vont me sembler « naturellement » irritantes et la réponse appropriée à leur donner prendra « spontanément » la forme de la confrontation et les réactions de rejet provoquées par ce comportement me confirmeront que, oui, les choses et les situations sont bien irritantes « objectivement », etc. Une traduction possible, courante, de ce terme de karma est action : on désigne ainsi l’acte de notre corps, parole et esprit et de l’intention qui lui est associée. Action et intention colériques (pour reprendre cet exemple) fabriquent un monde rageur, claustrophobique et explosif à la fois. Et l’on peut passer toute une vie – voire même plusieurs – enfermé dans la reproduction compulsive de ce schéma de souffrance.
Ce processus est circulaire et tend à s’autoproduire et s’auto-confirmer sans cesse. Plus l’on cherche à confirmer nos représentations illusoires de nous-même et de notre monde plus nous agissons guidés par celles-ci et plus nous souffrons car elles ne coïncident pas avec la réalité. Pourtant, nous continuons à nous y accrocher car dans cette logique infernale, aucun autre horizon ne se profile. Il n’y a pas d’alternative. Cette habituation et cette souffrance imprègnent ainsi toute notre expérience de la vie, masquant la possibilité de reconnaître notre nature véritable.
La pratique a précisément pour visée de mettre en suspens ce processus en le regardant directement, cessant de le subir comme une fatalité. Elle nous libère de ce qu’on croit être nous-même, car selon la Grande Perfection ce processus karmique n’a pas plus de réalité qu’un mirage qui se dissipe à mesure que l’on s’en rapproche.
Voilà comment parler en quelques mots de cette notion maintenant connue de manière populaire et le plus souvent utilisée pour parler d’autrui : “ It’s your karma, man !”