Au-delà du déjà-vu
Écrit par Denis Martin
Blog | Et moi dans tout ça ? | Réflexions sur la vie
Dans “Au-delà du déjà-vu”, Denis se penche sur la réalité illusoire et la nécessité d’un chemin même si tout est déjà parfait à la Base..
Série « Le chemin spirituel dans le Dzogchèn »
Commencer le chemin du Dzogchèn
Au-delà du déjà-vu
6 heures du matin, le radio-réveil s’allume au son de ” I Got You Babe “, … le désabusé Phil Connors (interprété par Bill Murray dans le film « un jour sans fin » réalisé par Harold Ramis) éprouve une sensation désagréable …comme si sa journée allait se dérouler exactement comme celle de la veille.
N’avez-vous jamais eu cette impression vertigineuse de vivre encore et encore la même journée ? Ces brefs instants de lucidité provoquent souvent un certain malaise, furtif par peur de trop s’y confronter…
A l’instar de Phil qui se retrouve enfermé dans ce sempiternel jour de la marmotte, on serait tenté de réagir par l’irritation, la résignation ou la sublimation. Même si ce surhomme tragi-comique peut être de prime abord inspirant, la douce musique du temps va finir par le dépasser.. et le cycle recommencera (”errance cyclique”, tib. khorwa, khor ba), qui sait …peut-être en tant que marmotte dans son terrier…
Alors comment passer de l’autre côté de l’écran et percer la vraie nature de cette réalité illusoire sans tomber dans les travers de Phil ? Le Dzogchèn enseigne que les apparences sont le jeu de l’esprit, des manifestations temporaires sans existence propre. Mais cette réalité illusoire n’est pas un problème en soi, qu’il faudrait faire voler en éclats. Au contraire, la base de toute manifestation est énergie ou rayonnement de la compassion universelle (tib. thougdjé, thugs rje).
““Sans la vision à la Base, nous continuerons à évoluer au sein des conditions illusoires, pensant arpenter un chemin ou pratiquer le Dzogchèn, bercés par la douce musique du temps qui va finir par nous dépasser…”
Si cette tradition s’appelle *« Grande Perfection » (*tib. Dzogpa Chènpo, rdzogs pa chen po), c’est que tout est déjà parfait à la base. Contrairement à ce que pense Phil, il n’y a absolument rien à changer, rien à transformer, rien à accumuler ou à acquérir. Dans la tradition du Dzogchèn tibétain, on se réfère souvent au vol du Garouda pour représenter l’état de la Grande Perfection : « suspendu dans le vide, planant dans la nature primordiale de mon [son] propre esprit lumineux, vide et immensément libre », comme l’évoque Mila Khyentse (lire l’article Haut vol). Plutôt inspirant, non ?
…Mais alors comment se fait-il que si cet état est à la base et qu’il n’y a rien à changer, nous nous retrouvions malgré tout calfeutrés – osons le paradoxe – dans nos illusions bien tangibles…
Hormis quelques rares êtres, qui ont la capacité (héritée de l’entraînement des existences passées) de réaliser en un instant la nature de l’esprit (tib. chig charwa, cig car ba), à la manière du Garouda qui prend son envol directement, il nous sera généralement nécessaire d’arpenter un chemin… mais lequel ? celui qui nous mènera à un résultat qui n’est rien d’autre que la réalisation que tout est déjà là, à la base. Autrement dit, nous allons devoir arpenter un chemin illusoire pour mettre fin à l’illusion et demeurer naturellement dans la Base primordiale de la réalité.
Vous avez mal à la tête ? …c’est normal et c’est bon signe !
Au risque de simplifier à l’excès, disons qu’il y a le Dzogchèn radical, la voie directe qui est arpentée par celles et ceux qui ont la maîtrise du vol du Garouda (grands Bodhisattvas ou Mahasattvas) et la voie graduelle nécessaire pour préparer son envol… et éviter de se retrouver en chute libre comme les oisillons des bernaches nonnettes (regardez la vidéo (1,55’), c’est vertigineux !).
La voie graduelle n’est cependant pas un chemin sans encombre et bien balisé où il suffirait d’appliquer certaines méthodes de méditation qui mettraient soudainement fin à l’illusion (lire l’article Le Toy Train). Malgré nos conditions de vie actuelles et le sentiment d’urgence que l’on pourrait ressentir, il est impossible de faire l’économie du temps d’observation et de réflexion nécessaire au mûrissement de la vue propre au Dzogchèn. La vision doit être à la base de notre action, de notre pratique de la Grande Perfection. Et cette vision ne peut se dévoiler sans le lien et la transmission d’un “être d’éveil” qui l’a lui-même réalisée et qui saura nous guider sur notre propre chemin de réalisation.
Sans la vision à la Base, nous continuerons à évoluer au sein des conditions illusoires, pensant arpenter un chemin ou pratiquer le Dzogchèn, bercés par la douce musique du temps qui va finir par nous dépasser… et le cycle recommencera, qui sait …peut-être en tant que marmotte dans son terrier…
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