L’activité éveillée
Écrit par Mila Khyentse
Blog | Dzogchèn Pratique | Et moi dans tout ça ?
Dans le dernier article de cette série sur l’action, « L’activité éveillée », Mila Khyentse parle de la compassion universelle, l’activité éveillée.
L’activité éveillée
Le dernier article de la série « Le sens de l’action » aborde le troisième niveau de l’action. Après l’aspect externe avec « Action ou Vérité ? » et le niveau interne avec « La pensée, mère de l’action ? », nous abordons désormais ce que la tradition appelle le niveau secret, c’est à dire l’activité éveillée.
Tout d’abord, pourquoi est-ce un niveau secret ?
Tout simplement, parce qu’il n’est pas immédiatement perceptible : aucun de nos sens, aucune de nos pensées ne peut le définir. Il ne se ressent pas, il échappe à toute définition et à toute vision et « il » n’est pas quelque chose. Dans cette perspective-là, quasi impossible donc d’en parler. C’est pourtant ce que nous allons tenter de faire…
Comme nous l’avons vu, habituellement, pour qu’il y ait action il faut un sujet à l’origine de cette action, des conditions dans lesquelles elle se passe et un ou plusieurs résultats montrant que cette action s’est passée. Plus que tout, pour les traditions bouddhiste et dzogchèn, il faut une intention à la base, celle qui va déterminer fondamentalement le « type » d’action et son résultat.
“Ainsi, le sens primordial de l’action est-il la compassion universelle, la luminosité-vacuité de l’esprit, l’activité éveillée sans fin « jusqu’à ce que l’univers soit détruit », nous dit la tradition Dzogchèn.”
Lorsque cette intention est « noble », elle devient le socle de l’activité éveillée.
Une « intention noble » est tournée vers le bien. Pas n’importe lequel pour ces traditions : la volonté de permettre à tous les êtres d’atteindre l’au-delà de toute souffrance, au-delà de la naissance et de la mort, et de se libérer (soi et tous les êtres) de manière définitive du rêve ou de l’illusion de l’existence dans laquelle tous les êtres errent sans fin. Ce souhait, dans un premier temps, est fait de manière tangible, structurée : nous pensons par exemple « puissent tous les êtres atteindre le bonheur ultime et les causes du bonheur ultime. Puissent tous les êtres échapper à la souffrance et aux causes de la souffrance »… Dans cette perspective, je ne suis plus désormais inscrit dans une action réduite portée par une intention égoïste, mais dans une vision universelle, car je ne pense pas à un ou des êtres en particulier, mais à « tous les êtres ».
Pourtant, ce n’est pas encore la dimension éveillée de l’action car cette dernière est encore soutenue par une intention relative : même si je pense à tous les êtres, mon intention est toujours comprise dans le processus habituel de la pensée avec quelqu’un qui fait le souhait (moi), un objet de réception (les êtres qui reçoivent le souhait) et des conditions (bonheur et souffrance).
L’activité éveillée va commencer lorsque tous ces éléments vont disparaître de ma conscience et que l’intention, le souhait d’éveil pour le bien de tous les êtres, va devenir totalement naturel. Tellement naturel qu’il n’y aura même plus une pensée à la fin qui va le rappeler. Ce souhait va être, va vivre tout seul, quelle que soit la pensée ou l’absence de pensée, le ressenti ou son absence, la présence d’émotion ou non. Ici est désormais le niveau éveillé de l’action, son sens le plus profond, le plus primordial : l’intention et l’activité éveillées.
Comment cette transformation a-t-elle pu s’opérer ?
Par la reconnaissance directe de la nature vide de l’intention et de l’action. Apprendre à générer une intention universelle ne suffit pas pour mettre en branle une action universelle. Il est nécessaire de pouvoir percevoir directement que la véritable action est en fait dénuée de sujet, d’objet, de conditions et surtout d’une intention relative et qu’elle n’est pas action par elle-même. Si cette intention est en relation avec quelque chose, elle va être automatiquement limitée. Percevoir l’intention vide, la nature vide du souhait, de l’acte et de celle ou celui qui les produit, est la porte du sens primordial de l’action.
Il n’y a qu’un seul moyen pour déployer cela : la transformation immédiate de toute notre vision de la réalité. Dans le monde bouddhiste, c’est par l’absorption méditative, le samādhi (tib. : ting nge ‘dzin, prononcer “tingnédzin”), la concentration continue, que nous finissons par y parvenir. Dans la tradition Dzogchèn, c’est par l’introduction à la nature primordiale de notre esprit que cela se passe.
Par cette « initiation » à la nature de vacuité de toute la réalité, nous nous engageons désormais sur le chemin des Êtres d’Éveil, les Bodhisattvas (tib. : byang chub sems pa, prononcer “djang tchoub sèmpa”) qui s’entraînent continuellement à l’activité éveillée jusqu’à la libération ultime, l’état d’Éveil primordial et parfait.
Ainsi, le sens primordial de l’action est-il la compassion universelle, la luminosité-vacuité de l’esprit, l’activité éveillée sans fin « jusqu’à ce que l’univers soit détruit », nous dit la tradition Dzogchèn.
Et elle ajoute : « et qu’un autre soit reconstruit ». Mais ceci est une autre histoire…
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