Une vie de rêve
Écrit par Grégoire Langouet
Blog | Dzogchèn Pratique | Réflexions sur la vie
Dans « Une vie de rêve », Grégoire se demande quelles seraient les bonnes conditions pour pratiquer un chemin spirtuel.
Série : Les conditions difficiles dans le Dzogchèn
Une vie de rêve
A quand, enfin, les bonnes conditions ? Nous voulons dire, les bonnes conditions d’existence pour débuter, poursuivre et accomplir pleinement notre chemin de vie. Car l’une des difficultés apparentes de notre époque, c’est que tout va vite – trop vite, nous dit-on. Trop de vitesse, trop d’informations, trop d’occupations ; et pas assez de temps, d’espace, de repos pour pouvoir pratiquer, et intégrer progressivement la vue de la Grande Perfection. Pour cela, à quand donc, enfin, les bonnes conditions ?
Si un jour j’étais prince ou princesse, riche hériter ou héritière, avec un travail lucratif qui demande peu de temps, alors, enfin, me dis-je, je pourrais correctement mettre en pratique les enseignements de la Grande Perfection. Car dans le brouhaha des conditions quotidiennes – entre les contraintes des collègues, les activités des enfants et les rendez-vous familiaux –, il me semble difficile de prendre le temps d’arpenter un chemin spirituel, d’affiner ma vision de la réalité. Il me faudrait donc pour cela… de meilleures conditions.
Imaginons plus précisément : un vaste domaine en bord mer, un paysage naturel à couper le souffle. Arbres centenaires, falaise qui plonge dans les eaux translucides, immensité céleste azurée. A l’ombre, un vent rafraichissant caresse ma peau, les oiseaux m’émerveillent de leur chant et les écureuils folâtrent. Je suis en pleine santé, beau, riche et complètement libre de tout mon temps. Tout est à ma disposition. Les plaisirs des sens satisfaits. Qu’il me suffise de souhaiter quelque chose, et cela se réalise. Une vie de rêve. Voilà donc, enfin, de bonnes conditions… Mais est-ce vraiment le cas du point de vue de la Grande Perfection ?
“Mais au final, qu’on les juge bonnes ou mauvaises, des conditions restent des conditions, c’est-à-dire qu’elles sont impermanentes, transitoires et illusoires.”
Car alors, quel besoin aurais-je de pratiquer un chemin spirituel ? Rien ne m’y appelle. Sans la moindre contrainte, tout semble pouvoir éternellement perdurer en ce paradisiaque décor : ni vieillesse, ni maladie, ni mort à l’horizon ; aucune contrainte matérielle. Dans ce confort total dont la modernité nous a plus ou moins gâtés, nous ne voyons pas forcément le sens qu’il y aurait à arpenter un chemin spirituel, un chemin de transformation de notre propre esprit, de découverte de notre être le plus profond.
Selon la tradition, cette condition quasi-divine et qui nous semble si enviable, est en fait un obstacle sur le chemin. Certains de ces obstacles se nomment les quatre māra (bdud), les « démons » qui encombrent la voie et nous empêchent d’avancer vers la reconnaissance de notre nature fondamentale. Dans le cas présent, il s’agit du māra des fils des dieux (skt. devaputramāra ; tib. lha’i bu’i bdud). Tous les plaisirs des sens sont satisfaits. Nous vivons dans une parfaite insouciance, éternellement, en une sorte de spa luxueux, de Champs-Elysées ou de Shangri-la – un paradis artificiel ?
Dans ces conditions, aucune pratique n’est mise en place puisque la mort ne fait pas partie de notre horizon et que nous repoussons tout questionnement profond sur notre réelle condition. Si d’aventure nous y pensons, nous les remettons toujours à plus tard, en une indéfinie procrastination. Mais sans aller jusqu’à l’extrême du divin-paradisiaque, ne serait pas, plus simplement, les conditions de vie habituelles de bon nombre d’entre nous ? C’est la condition temporaire – avec d’infinies variations – de l’errance cyclique, le saṃsāra, condition dont nous n’avons pas intégré un principe absolument fondamental : l’impermanence. Rien de dure. Tout passe. Même une vie de rêve.
Mais alors, quelles sont les bonnes conditions pour parcourir le chemin du Dzogchèn ?
Car cela ne veut pas dire, à l’extrême inverse, qu’il faille vivre en zones de guerre ou être affamés pour pratiquer la Grande Perfection. Même si des conditions jugées comme difficiles peuvent mettre un coup d’accélérateur dans notre intégration de la vue et notre pratique de la Grande Perfection, il faut pour cela être un minimum dans de « bonnes » conditions. La détente et la douceur peuvent offrir un espace nécessaire à l’affinement de notre vision de la réalité. La pyramide de Maslow nous rappelle que certains besoins primaires doivent, pour la plupart d’entre nous, être d’abord comblés, avant de pouvoir parvenir à un questionnement plus profond sur la nature de notre existence, tel que le propose le Dzogchèn.
Mais au final, qu’on les juge bonnes ou mauvaises, des conditions restent des conditions, c’est-à-dire qu’elles sont impermanentes, transitoires et illusoires. La non-dualité du bon et du mauvais apparaît alors avec évidence : de bonnes conditions confortables peuvent me conduire à ne jamais me questionner ni pratiquer ; a contrario, des conditions difficiles — mort, maladie, solitude, perte d’emploi, ou pire — peuvent être comme une piqûre de rappel de la nature fondamentalement impermanente de notre condition, un aiguillon qui nous réveille et nous rappelle la vue du Dzogchèn. Ainsi, le bon peut s’avérer mauvais, le mauvais, bon, car les deux sont ultimement de même nature. Qu’est-ce donc, au final, pour la Grande Perfection, que de « bonnes » conditions ? Aucune, toutes, les deux, et rien de tout cela en même temps. Car du point de vue ultime de la Grande Perfection, jugées bonnes ou mauvaises, cela ne faut aucune différence. Mais du nôtre…
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