Rare et précieuse 1

La vie humaine, un carrefour pour comprendre le cosmos

Ce n’est pas la moutarde, ni même l’eau. Car l’eau, certes, est soutien de la vie ; mais la vie humaine est encore plus rare.

Oui, c’est de la vie humaine dont je veux vous parler.

À une époque où elle est si fragile, où son écosystème est menacé par sa propre activité, il faut rappeler ce que les traditions fondamentales soulignent :

Elle est rare, et précieuse.

Dans la tradition indo-tibétaine, on parle de 6 royaumes d’existence.

Commençons par son caractère précieux :

Dans la tradition indo-tibétaine, on parle de 6 royaumes d’existence. 6 types, donc, de renaissances possibles. Une fois mort, on transmigre, et on ne renaît pas forcément en tant qu’humain : on peut renaître

être des enfers,

esprit avide,

animal,

humain,

titan,

dieu.

Chaque type de renaissance est caractérisé par une tendance récurrente fondamentale, une émotion principielle qui détermine le type de support corporel et d’environnement où vous allez prendre renaissance.

Les êtres des enfers, donc, sont régis par la colère-aversion : elle les a dominés au point où elle a constitué leur existence, déterminé leur support corporel, bâti les murs de leur réalité. Une réalité dépourvue de tout espoir, sans espace de joie et de réjouissance, dans un resserrement extrême qui écrase toute potentialité de bonheur et de liberté.

Les esprits avides sont régis par une avidité fondamentale qui se traduit par une faim et une soif constantes et toujours insatisfaites. On les décrit d’une manière imagée comme des êtres au ventre énorme mais au cou très long et mince : leur déglutition s’avère difficile, et dans leur environnement les ressources sont inexistantes ou quasi. Je vous passe les détails sur les « esprits avides qui traversent l’espace », ils sont affligés de tellement d’angoisses et de délires qu’ils vous rendent fous et malades quand ils veulent entrer en contact avec vous.

Les animaux sont affligés d’une torpeur mentale qui confine à la bêtise : certes ils peuvent rêver (regardez quand votre chat dort) et sont manifestement pourvus d’un type d’intelligence qui leur permet de comprendre leur environnement d’une manière subtile et non discursive. Mais ils sont incapables de lire un post de blog sur la pratique du Dzogchèn, et ça, c’est un véritable handicap. Ils n’ont pas la capacité à être conscient de leur état et ne questionnent jamais leur état d’animal.

Les titans sont régis par la jalousie, ou l’envie. En bref, ils sont en guerre perpétuelle contre les dieux, car ils souhaiteraient prendre leur place et devenir des dieux, eux qui le sont presque…mais qui ne le sont pas. Voulant être calife à la place du calife, ils échouent toujours lamentablement à y parvenir, ne dérangeant pas d’un iota les dieux de leur délice.

Les dieux, en effet, vivent bien leur vie qui dure des millions d’années. Leur passion régente est l’orgueil. Ils ont des corps lumineux, et chacun de leurs désirs se manifeste simplement en y pensant. Mais ils meurent aussi et là, pas cool : eux qui s’étaient crus immortels voient leur luminosité disparaître et les autres dieux s’écarter d’eux ; pire encore, grâce à leur perception extraordinaire, ils voient en quoi ils vont renaître, et donc : douleur, malheur et terreur.

Tout ce panorama pour vous parler de nous autres les humains précieux (je subodore que vous n’êtes pas un esprit avide qui lit ce blog Dzogchèn, mais si c’est le cas, vous êtes bienvenu !).

Précieux, pourquoi ? Nous les humains, notre passion première, c’est le désir : nous sommes nés dans la sphère du désir et mus par lui. Désir, […] à qui le plaisir sert d’engrais, écrit Baudelaire. Mais nous ressentons toutes les autres également : nous savons être jaloux, être en colère, être stupides ou avides ou orgueilleux. Nous sommes à un carrefour ontologique car nous pouvons connaître et ressentir les causes de renaissance de tous les autres états d’existence. Pas mal non ?

dzogchentoday-rare-precieuse-1.jpg

Par ailleurs, si nous lisons et comprenons ces lignes, félicitations ! Selon la tradition, nous avons une existence humaine dite « libre et bien pourvue » : nous sommes nés sur cette planète vraiment sympa (en tout cas pas si mal) où il y a des enseignements spirituels authentiques qui ont été transmis de génération en génération par des êtres éveillés jusqu’à nous (eh oui !) ; nos sens et nos facultés sont à peu près intacts, car même si nous avons mal aux yeux à cause de la lecture sur écran, nous comprenons ces mots et pouvons les disséquer et y rétorquer avec un sens aigu de la répartie ; notre attitude n’est cependant pas complètement extrême et nous pouvons même éventuellement finir par liker ce texte (ce qui signifierait qu’au moins une part de nous est d’accord avec au moins une part de son contenu).

Dans cette position métaphysique si particulière, nous nous trouvons donc en bonne posture pour pratiquer la Grande Perfection !

Écrit par Paul Baffier

Paul, traducteur du tibétain en anglais et français. Il a été formé à l’INALCO et au Rangjung Yeshe Institute.

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