Où est le terrain d’entraînement ?
Écrit par Damien Brohon
Blog | Dzogchèn Pratique | L'aventure Dzogchèn
Dans « Où est le terrain d’entraînement ? » Damien expose comment Vue, Médiation et Intégration font de notre vie et de notre esprit LE terrain d’entraînement.
(2) Série : Où pratiquer le chemin du Dzogchèn ?
Où est le terrain d’entraînement ?
Nos habitudes ataviques modèlent profondément notre perception de nous-mêmes, des autres et du monde : c’est comme si chaque geste du quotidien, chaque détail de notre environnement familier venaient confirmer ces représentations limitantes et nous distraire de toute possibilité de reconnaître la nature de l’esprit (tib. sems nyid). D’où la nécessité de sortir de nos conditions habituelles pour aller faire des retraites. Ces ruptures sont assurément salutaires mais elles ne valent que parce qu’elles préparent un retour à notre vie dans son entièreté et dans tous ses aspects. C’est bien sûr là le terrain d’entraînement ultime.
Rien de ce qui constitue notre expérience n’est exclu du chemin spirituel car tous les phénomènes – beaux ou laids, nobles ou ignobles, sont les apparences de la base (tib. gzhi snang). Sa vacuité-luminosité rayonne ainsi sous forme de la variété infinie de nos sensations, expériences, pensées, émotions et concepts si on sait les reconnaître comme tels.
« (…) se souvenir de ne pas oublier de reconnaître votre vraie nature, de sorte que vous pouvez la préserver sans interruption à tout moment, lorsque vous mangez, dormez, marchez, dans l’action, que vous demeuriez en méditation d’égalité ou dans la post-méditation. » cf. Düdjom Rinpoché
Aussi dit-on que le pratiquant du Dzogchèn est semblable à une biche – toujours sur le qui-vive. Cette métaphore signifie que – par exemple – la chercheuse en neurobiologie ou le plombier-zingueur qui suivent cette tradition ont une attitude d’ouverture et d’attention à l’ensemble de leur expérience car chaque instant peut s’avérer être une brèche hors de la sphère des tendances karmiques – révélant ainsi la Grande Perfection inhérente de la réalité. Qu’ils soient dans un laboratoire, sur un toit, pris dans les embouteillages ou en train de faire la queue au supermarché, ils ont toujours la certitude d’être exactement à l’endroit où il faut pour mettre en pratique les instructions reçues. Peu importent les circonstances, c’est l’esprit lui-même qui est le terrain d’entraînement.
Bien sûr, une telle attitude restera lettre morte si elle n’est pas soutenue par une forte résolution. Celle-ci s’enracine dans la conscience aiguë du caractère précieux et éphémère de l’existence humaine : « Au fond, si vous réfléchissez juste à votre propre bien-être dans les vies à venir, vous comprendrez qu’il n’y a que vous seul qui puissiez pratiquer ce que l’on nomme « Dharma ». Bien qu’après votre mort vous placiez tous vos espoirs dans les racines de vertu accomplies par d’autres, il est en vérité difficile d’en tirer profit*.* » nous conseille Düdjom Rinpoché. [1] C’est ainsi que l’on s’engagera dans la Vue, la Méditation et l’Intégration.
La Vue de la nature de la réalité est le fondement même de ce chemin : « (…) il vous faudra établir fermement ce qu’est l’évidence primordiale, ce mode d’être naturel de la réalité absolue, la nature même de votre esprit, libre de tous les attributs fabriqués artificiellement par l’esprit conventionnel. La Présence intrinsèque émergera alors dans sa nudité, en tant que sagesse primordiale née d’elle-même, inexprimable par les mots, impossible à illustrer par des exemples, ni dégradée par le saṃsāra ni bonifiée par le nirvāṇa. » [2] Écouter, réfléchir et méditer sur les enseignements permet de s’établir dans la Vue avec une solidité croissante.
La Méditation consiste ainsi à demeurer dans la Vue. Se familiariser avec elle. Laisser se défaire par elles-mêmes nos saisies et identifications illusoires. Düdjom Rinpoché décrit cela ainsi :
« Quelles que soient les apparences d’objets qui s’élèvent, quoi qu’il puisse apparaître, soyez comme un petit enfant qui regarde à l’intérieur d’un temple, et sans vous engager dans la saisie des qualités apparentes, demeurez dans la fraîcheur, de sorte que tous les phénomènes se présentent dans leur condition naturelle, sans que vous altériez celle-ci par un quelconque artifice. Leur couleur ne change pas, leur éclat ne s’évanouit pas, et bien qu’elles se manifestent, vous ne les corrompez pas par des pensées de saisie et d’attachement. Ainsi, toutes les apparences et les connaissances émergent comme la sagesse nue qui est vacuité-clarté. »[3]
Ce merveilleux conseil s’applique à la pratique formelle et informelle. La Méditation s’épanouit en effet d’abord dans le cadre d’une assise régulière et en suivant des instructions précises. Sans celle-ci il est chimérique de croire pouvoir pratiquer informellement au cours de la journée. En effet, notre habitude de distraction est si grande qu’elle balaye toutes nos velléités de maintenir la Vue de la Grande Perfection dans le quotidien. Celle-ci doit être enracinée dans une méditation régulière. Établir cela est une priorité. La pratique informelle consiste à revenir sans cesse à la Vue quelque soient les événements de notre vie. C’est l’Intégration. Il s’agit de « (…) se souvenir de ne pas oublier de reconnaître votre vraie nature, de sorte que vous pouvez la préserver sans interruption à tout moment, lorsque vous mangez, dormez, marchez, dans l’action, que vous demeuriez en méditation d’égalité ou dans la post-méditation. »[4]
Le mot clef de l’Intégration est ainsi le rappel. C’est cela qui fait – en réalité et non comme un rêve de plus – de chaque instant le terrain d’entraînement pour réaliser pleinement la clarté-luminosité, nature de notre propre esprit.
[1] Dans L’Alchimie des Êtres accomplis Une explication qui facilite la compréhension des instructions essentielles pour pratiquer les retraites de montagne, dans La Guirlande d’Or du Trekchö, Textes nyingmapa choisis et traduit du tibétain par Philippe Cornu, éditions Rangdröl, 2013, p. 36. RETOUR
[2] Ibid, p. 27. RETOUR
[3] Ibid, p. 28. RETOUR
[4] Ibid, p. 29.
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