Nenikekamen!
Écrit par Grégoire Langouet
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Avec “Nenikekamen!” Grégoire compare le marathon, épreuve phare des Jeux Olympiques, avec le chemin du Dzogchèn.
Série : Eté 2024
Nenikekamen !
Après l’ouverture en grande pompes – sons, rayons et lumières fluo – nous sautons à pieds joints dans l’une des épreuves phares des Jeux Olympiques d’été : le marathon. Elle est tellement importante qu’elle existe depuis la toute première édition, en 1896 sur le mont Olympe… Ah non, pardon, il y a confusion ! C’est que lorsque j’entends « Jeux Olympiques », je pense tout de suite à la Grèce antique ; les festins, les sacrifices aux dieux, les courses de char. Je m’égare déjà… mais pas tant que ça, car c’est bien en Grèce qu’eurent lieu les premiers Jeux Olympiques modernes ; non plus à Olympie cette fois-ci – d’où l’on allume toujours la fameuse flamme – mais à Athènes. Et c’est précisément entre Marathon et Athènes, qu’eut lieu le premier « marathon ». Ouf, on retombe sur nos pieds – et on en aura bien besoin pour courir !
La légende veut qu’un messager ait parcouru les quarante kilomètres séparant les deux villes pour annoncer une bonne nouvelle – la victoire militaire des Grecs sur les Perses. Le pauvre mourut, épuisé, après avoir annoncé la victoire : « Nenikekamen ! » (νενικήκαμεν), « Nous sommes victorieux ».
Alors c’est parti pour la victoire ! A vos marques…
Comme au début du chemin préparatoire du Dzogchèn, sur la ligne de départ tout le monde se bouscule. Je joue des coudes avec quelques voisins, mais on s’encourage aussi : « T’inquiète pas, ça va aller. Je connais quelqu’un qui l’a déjà fait. Ça s’est super bien passé ! ». Puis finalement, c’est parti !
Je m’élance, je m’échauffe, je trouve ma place – chacun sa route, chacun son chemin ; avec ses chaussures et ses chaussettes à soi, son short et son t-shirt porte-bonheur – casquette fétiche au besoin –, boisson énergisante préférée et barres de céréales protéinées. C’est donc bien parti, et ça ne fait que commencer !
“Alors il n’y a plus ni objectif ni compétition ; ni course ni coureur ; ni arrivée ni départ. Nulle part où aller car nulle part d’où partir — sans même aucune direction.”Nenikekamen !
Si je cours apparemment seul, comme sur le chemin du Dzogchèn, je suis cependant bien entouré. Il y a évidemment toutes celles et ceux qui m’ont aidé ; mes entraîneurs, mes parents, mes amis, etc. Il y a encore tous les autres marathoniens qui vont dans le même sens que moi ; on sent une force d’attraction dans ce mouvement coordonné. Et puis il y a le public, qui nous encourage au passage, et rêve parfois d’en être.
Le parcours est long ; chaque encouragement apprécié ; une bouteille d’eau citronnée ou une éponge gorgée d’eau fraîche – pour notre peau brûlante, de sueur ruisselante. Tout un poème, le marathon ! Et comme sur le chemin du Dzogchèn, chaque geste compte.
La course se poursuit. Je suis bien lancé. Le premier quart-d’heure est le plus difficile. Il faut que le corps se chauffe. Comme lors des pratiques préliminaires, c’est laborieux, une fois l’élan candide du départ retombé. Détermination, endurance, patience – voilà certaines des qualités que nous devrons développer.
Une fois ce cap du quart-d’heure passé, nous rentrons dans une phase plus stable, et qui risque de durer – vitesse de croisière enclenchée. Bien entendu, ce n’est pas un long fleuve tranquille et d’autres obstacles vont se lever. Mais le plus dur est fait. Dorénavant il faut tenir et poursuivre. On s’est engagé ; tenons notre promesse. Nous irons jusqu’au bout – comme sur le chemin du Dzogchèn. Alors on poursuit!
J’accorde mon corps, mon souffle et mon esprit. Pas question que l’esprit ne parte à droite, les jambes à gauche et le souffle en l’air. Il me faut tout bien synchroniser ; tenir tout ensemble – sous le joug de l’esprit – avec aspiration et détermination – espace et détente. Les pensées sont absentes. On est rivé sur notre objectif : arriver, au plus vite… mais il reste encore vingt kilomètres. Prenons notre mal en patience – comme sur le chemin du Dzogchèn.
Mes jambes sont lourdes, mes pieds gonflés, mon cœur bat à cent à l’heure. Ma respiration est dorénavant bien synchronisée, plus besoin d’y penser. Une inspiration longue, une expiration plus longue encore, une inspiration longue, etc. C’est comme si tout se mettait en place, naturellement. Plus que dix kilomètres. Je reste déterminé, aspirant à ma victoire, à la Victoire. Le parcours réserve des surprises jusqu’au bout – plus que trois kilomètres – comme sur le chemin du Dzogchèn.
Enfin, je franchis la ligne d’arrivée, après tant d’épreuves, tant de souffrances. Ouf ! HA !
Quelle idée m’a pris de me lancer dans une telle galère… Mais quelle joie à l’arrivée ! A la fois hilare et épuisé, souffrance et joie entre-mêlées. Je me laisse tomber par terre. Tout se relâche, quel soulagement. Allongé sur le sol, les yeux tournés vers le ciel – toutes les tensions ont disparu. Me voilà enfin arrivé.
Mais cette victoire est-elle bien la Victoire ultime ? Peut-être pas, me souffle mon entraîneur…
Moi qui me croyais arrivé au bout du chemin du Dzogchèn, j’apprends qu’il ne s’agit que de la fin du début ; des pratiques préliminaires, de la préparation au Dzogchèn. Mais le plus dur est fait, me rassure mon entraîneur. Encore un petit effort… La vraie course pour la vraie Victoire commencera là – la course immobile, la pratique principale du Dzogchèn.
Alors il n’y a plus ni objectif ni compétition ; ni course ni coureur ; ni arrivée ni départ. Nulle part où aller car nulle part d’où partir — sans même aucune direction. Tout est là, sphère ultime de la Réalité — immobilité et vitesse infinie.
Il m’en aura donc fallu des efforts pour arriver nulle part. Joyeux paradoxe ! Courir comme un dératé et m’épuiser pour… me laisser aller, simplement, naturellement. A présent, je peux me détendre – et savourer. Alors la vraie pratique contemplative commence. A vos marques… Dorénavant, c’est décidé, les prochains marathons, je les suivrai… à la télé ! Nenikekamen !
Retrouvez le premier article de la série : Opening ceremony
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