Le papillon et le garuda
Écrit par Nils Derboule
Blog | Culture et traditions | Les bases du Dzogchèn | Réflexions sur la vie
Dans cet article “Le papillon et le garuda”, Nils Derboule évoque le chaos de la vie, le contrôle, et la façon dont le Dzgochèn la considère.
Le papillon et le garuda
L’effet papillon est un joli nom pour un phénomène décrit par les physiciens il y a quelques décennies : le chaos. Le principe de ces “équations chaotiques” est qu’elles donnent un résultat radicalement différent selon les données de départ. Une infime variation dans les conditions initiales (le battement d’aile d’un papillon dans la forêt amazonienne) peut déclencher une tempête cyclonique dans l’Atlantique nord.
A l’époque de cette découverte, la communauté scientifique a commencé a en voir partout à l’œuvre, jusque dans les heures de passage des bus à Mexico en fonction du nombre de personnes qui attendent aux arrêts. Puis elle s’est ravisée. D’accord, le chaos est très présent dans la nature, mais on avait peut-être poussé le bouchon un peu loin.
Pourtant, il est facile d’imaginer que nos vies sont gouvernées par ces équations chaotiques. Qui peut prévoir avec certitude ce qui va arriver l’an prochain, le mois qui vient, la minute suivante ? Les causes et leurs effets sont tellement innombrables et complexes dans leurs relations ! Se pourrait-il qu’un lacet cassé nous fasse rater le bus, et de colère nous nous en prenons à une pauvre inconnue, ajoutant une pierre à sa peine qui la conduira à la dépression ? Ou bien qu’une sonnerie d’école nous plonge dans une nostalgie toute la semaine précédant notre mariage et fasse ainsi douter notre promis(e) ? Ou encore qu’à cause d’une tâche de café tenace nous manquions la rencontre qui allait changer le cours de notre existence ?
“Toute cause précède l’effet, certes, mais lorsqu’on se concentre correctement, on découvre que cela n’est nullement vrai en soi. C’est l’un des points clés les plus fondamentaux des enseignements de la Grande Perfection : “Apparent, mais non existant”.”
Quelle maîtrise avons-nous de notre vie ? En réalité, aucune. Bien sûr, nous essayons de nous rassurer en programmant, planifiant, anticipant, et plus nous sommes craintifs des lendemains, plus nous voulons contrôler. Mais si nous y réfléchissons bien, il est impossible de connaître l’infinité des possibles. Quelle certitude pouvons-nous avoir que nous n’allons pas mourir ce soir ?
Dans les traditions hindoue et bouddhiste, seul le dieu Brahmā perçoit tout cela, car il est l’esprit connaissant tous les possibles, la base de toutes les causes et des effets. On appelle cette réalité “le filet de Brahmā ”, et nous vivons dans ses mailles. Mais Brahmā n’est autre que notre propre esprit, appréhendé dans son aspect le plus vaste, le plus universel. Au sein de la connaissance de Brahmā, les trois temps – passé, présent et futur – sont présents. Dès lors, la certitude de tout connaître semble totale. Nous sommes l’univers : symbiose totale entre les formes, le mouvement et la volonté.
Et pourtant, Brahmā se fourvoie également, car tout cela est parfaitement illusoire. Toute cause précède l’effet, certes, mais lorsqu’on se concentre correctement, on découvre que cela n’est nullement vrai en soi. C’est l’un des points clés les plus fondamentaux des enseignements de la Grande Perfection : “Apparent, mais non existant”. Les effets et les causes, en bref tous les possibles, apparaissent spontanément au sein de la nature primordiale de notre esprit, comme reflets de sa nature vide.
Pour le yogi et la yogini, les pratiquants de la voie du Dzogchèn, cette découverte est souvent un choc. Un choc répété à chaque observation, qui amène une vision directe de la nature illusoire même des causes et des effets. Comment contrôler ce qui n’est plus là l’instant suivant ? Quelle peur peut-il y avoir, si rien n’étant là vraiment, rien ne disparaît ? Maîtriser sa vie n’est plus un objectif, car on comprend que c’est impossible. Sans fatalisme, on n’abandonne pourtant jamais la vigilance de ses actes, car on sait que tout compte.
Puis un jour, le yogi et la yogini se rendent compte que plus rien n’est inconnu. La nature primordiale est la base de tout, rien ne se trouve ni en-dehors, ni en-dedans, pas même l’expérience de cette nature essentielle. Il/elle est alors tel un garuda : cet oiseau mythique qui, dès qu’il perce sa coquille, sait immédiatement et parfaitement voler.
Tant que le corps demeure, ultime reliquat des causes et des effets, le yogi et la yogini vont sans peur, dans l’abandon complet et la certitude profonde. Le bus en retard, les sonneries d’écoles, ils s’en nourrissent désormais : cette danse des phénomènes est celle de leur nature primordiale. Puis, lorsque la mort arrive, lorsque se brise la coquille, c’est un envol immédiat dans le ciel pur de la liberté primordiale. Et tout est Grande Perfection, définitivement.
Plus d’articles
Les mathématiques du chemin
Dans « Les mathématiques du chemin », Grégoire nous invite sur le tracé d’une improbable géométrie du chemin du Dzogchèn.
Les bottes de sept lieues
Dans cet article, Johanne nous propose de chausser les bottes de sept lieues des contes de notre enfance, sur le chemin du Dzogchèn.
Au-delà du déjà-vu
Dans “Au-delà du déjà-vu”, Denis se penche sur la réalité illusoire et évoque la nécessité d’un chemin même si tout est déjà parfait à la Base..