L’ami nain vert

Written By Mila Khyentse

Mila Khyentse est un enseignant français du Dzogchèn et du Bouddhisme tibétain et l'initiateur du projet Dzogchen Today!

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Dans “L’Ami Nain Vert”, Mila Khyentse parle d’une planète lointaine, très lointaine et de la relation au Maître via la Force.

L’ami nain vert

 

Dagobah.

Le coin le plus paumé d’une galaxie lointaine, très lointaine…

Une planète faite de marécages, qui grouille de monstres, où le taux d’humidité dépasse les 250%, qui n’accueille (presque) aucune vie intelligente, et dont la malaria est le cadet de tes soucis si jamais tu décides un jour – on ne sait pour quelle obscure raison – d’y partir en vacances… comme Luke Skywalker.

Et pourtant.

En fait, si Luke décide de s’y rendre après la défaite sur Hoth (c’est une planète faite de glaces comme son nom l’indique) face à l’empire, c’est dans l’espoir d’y être formé. Formé me direz-vous ? Dans ce trou à rats ?? Où il n’y a (presque) aucune vie intelligente ???

Eh oui.

Et puis, formé à quoi ? À la survie en terrain hostile ?

Pas du tout.

À la Force. Cette énergie primordiale qui est l’étincelle de vie de tous les êtres de l’univers lointain, très lointain… Luke doit être formé à la maîtrise de son esprit et en découvrir ses pleines capacités. Traditionnellement, celles et ceux qui s’entraînent à la Force et qui parviennent à la maîtriser sont les chevaliers Jedi (prononcez Djédail).

Et, apparemment, à Dagobah réside le dernier de tous les grands maîtres Jedi.

Non ! Sans blague ?! Dans ce trou à rats ???

Bref. Après un atterrissage approximatif dans les arbres car il n’y a pas un seul astroport sur toute la planète, Luke finit par assister à l’engloutissement de son x wing (son astronef) dans les marais. On va finir par croire qu’il doit passer beaucoup d’épreuves avant de rencontrer Yoda…

Le voilà donc seul avec son robot R2D2, qui a d’ailleurs du mal à rouler sur terrain marécageux, perdu sur une planète pas très sympa, sans possibilité de retour.

Et soudain, alors que Luke installe son matériel pour un bivouac, voilà qu’apparaît, sur une branche, un nain vert aux longues oreilles qui veut devenir son ami. Cet être habillé d’une simple toge très sale, s’appuyant sur une canne, doué de parole et au comportement enfantin, semble très vieux. Il farfouille dans toutes les affaires de Luke, lui pique sa nourriture, se bat avec R2D2 pour obtenir un objet qui fait de la lumière (que nous appellerions, nous, lampe-torche)… Bref, une attitude pas du tout sérieuse, ni civilisée. L’attitude d’un sauvage des marais, quoi. D’ailleurs, Luke ne s’y trompe pas, arborant un air paternaliste et un tantinet dédaigneux, jusqu’à ce qu’il dise qu’il est à la recherche du maître Jedi Yoda. « Te conduire à lui, je puis » lui dit le petit ami nain vert avant de lui proposer de le suivre pour manger un « vrai » repas chez lui.

Que faire d’autre ? Luke finit par le suivre.

Arrivé dans la cabane de l’ami nain vert, notre jeune apprenti Jedi s’impatiente de plus en plus, refusant de manger et d’attendre plus avant de rencontrer Yoda.

Mû par ses émotions, il ne voit rien. Propulsé par ses préconceptions sur la vie et les apparences, il ne reconnaît rien. Happé par son impatience, il n’entend rien.

Ce n’est qu’après avoir entendu l’ami nain vert déclarer qu’il ne pouvait rien faire pour lui, puis la voix de son ancien maître Obi-Wan Kenobi résonner dans le vide lui répondre que Luke était comme lui quand il a été formé, que notre apprenti Jedi réalise finalement que le petit être devant lui est : « Yoda !?! »

Luke n’en croit pas ses yeux, il a fini par trouver son maître, celui qui peut l’aider à achever sa formation dans la voie Jedi !

Et l’entraînement commence !

Luke va devoir entraîner son esprit, repousser ses limites, avec Yoda sur son dos en plus, au propre comme au figuré. Son ami de bien nain vert lui demande d’empiler des pierres – vous savez le dernier truc à la mode que font les touristes lorsqu’ils se baladent dans les marais de Dagobah – mais pas avec ses mains. Non ! Avec son esprit et le concours de la Force. Luke râle. Il peste ! Il s’énerve. Il n’y croit pas. Il se désespère… mais il essaie quand même. “N’essaie pas. Fais-le ou ne le fais pas ! Mais il n’y a pas d’essai” lui assène Yoda. Et m…. ! Effectivement, pourquoi se limiter à ses mains pour soulever des objets alors que l’esprit, lui, n’a pas de limites ? Et Yoda de lui demander de sortir son vaisseau du marécage (il est mal garé apparemment)… sans les mains. Luke essaie. Il se concentre, ferme les yeux, fronce les sourcils et, lentement, le x wing s’élève pour s’extirper du marécage. Soudain, les vieux démons de Luke le rattrapent. “Non, c’est trop lourd ! Je n’y arriverai jamais ! Et gna gna gna !” Le x wing s’enfonce à nouveau. Soupirant (un ami de bien soupire beaucoup au début), Yoda se concentre un tantinet et le vaisseau sort entièrement du marais. Incroyable ! C’est un miracle ! Non, cela ne l’est pas. Yoda n’a simplement plus besoin de ses mains. Outre l’aspect pratique, cela veut dire qu’il a dépassé les limites qu’il s’imposait par son entraînement et ses épreuves. L’histoire ne nous dit pas s’il a autant pesté que Luke pendant sa formation, mais c’est fort probable…

Grâce à l’entraînement de Yoda, à son passage dans la grotte du mal où il doit faire face à ses peurs et à sa pugnacité, Luke se transforme peu à peu. Il finit par avoir des visions de ses amis en danger et, contre l’avis de Yoda et d’Obi-Wan Kenobi, quitte Dagobah et son maître qu’il ne reverra plus de son vivant. Ce seront les épreuves qu’il surmontera qui parachèveront sa formation, même s’il y perdra une main.

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S’il y a un conseil fondamental dans la pratique du chemin de la Grande Perfection, c’est celui-ci : prenez bien le temps de rencontrer puis de connaître l’Ami Nain Vert. Il est la clef qui peut vous ouvrir à la Force et, finalement, mettre fin à toute souffrance..

 

The Green Dwarf Friend

Le scénario du deuxième opus de la très célèbre série Star Wars, co-écrit par George Lucas et Lawrence Kasdan dès 1977, contient ainsi un parfait exemple de ce que peut être l’ami de bien ou le maître dans la tradition Dzogchèn. Pour définir ce dernier, il n’y a pas de meilleur qualificatif que : « ordinaire ».

Ordinaire, on pourrait même dire banal. Il n’y a pas de feux d’artifice dans la Grande Perfection, tout comme sur la planète Dagobah. Les véritables qualités d’un ami de bien ne sont visibles ni dans son habillement, ni dans son mode de vie et, généralement, elles ne nous apparaissent que lorsqu’il y a une vraie rencontre. Ce n’est alors qu’à ce moment-là, lorsqu’on découvre ses qualités, que l’on peut soulever un coin du voile de la Force.

Ordinaire, car l’ami de bien dans le Dzogchèn ne possède rien de plus que ce que nous possédons déjà. Il n’est pas « puissant » ou « extraordinaire » par nature ; nous le sommes toutes et tous. Tous les êtres jusqu’aux confins de l’espace le sont. Leur nature primordiale ne demande qu’à éclore et s’épanouir. Il y a une seule différence, de taille : l’ami de bien, par son entraînement et la transmission qu’il a reçue lui-même de son ami de bien, est parvenu à faire éclore et s’épanouir ce qui est encore latent chez la plupart des êtres ; et il peut nous donner la méthode pour le faire. Cependant, il ne peut pas le faire à notre place. Il peut nous accompagner, mais le chemin est personnel.

Ordinaire, car il est nécessaire d’établir une relation saine et de confiance, sur le long terme, avec l’ami de bien. Pourtant, comme nous l’avons vu avec Luke et Yoda, ce n’est pas quelque chose qui peut se faire rapidement. Il est nécessaire de prendre le temps de connaître l’ami de bien et que ce dernier nous connaisse. Il n’y a pas d’ami de bien, de maître, parfait en soi. Cela n’existe pas. Il y a celui qui est qualifié et bien pour nous. Peut-être que celui-ci ne conviendra pas à notre voisin. Il est qualifié car il a reçu les enseignements de la Grande Perfection, les a pratiqués, assimilés et finalement réalisés pour lui et peut donc à son tour les transmettre. Il est bien pour nous car il donne les enseignements en fonction de ce que nous sommes, de notre personnalité, de notre façon de penser et d’agir, etc. Pas par rapport à ce que nous voulons, mais par rapport à ce dont nous avons réellement besoin pour atteindre la Grande Perfection de notre esprit. Il agit donc en fonction de ce que nous sommes et nous comprend bien. Ce que nous ne pouvons pas faire, l’ami de bien ne nous l’imposera pas, si nous le lui disons clairement. Sinon, il n’est pas fait pour nous. Cela fonctionne dans les deux sens d’ailleurs. Ainsi, de notre côté, nous savons de manière certaine que les enseignements qu’il nous prodigue sont adaptés à nos besoins. Nous le savons car nous avons passé beaucoup de temps à « tester » ce qu’il nous donnait, la façon dont il nous le donnait, et les résultats qui en découlaient. Maintenant nous savons que ces enseignements, le rythme de leur assimilation, la manière de les donner, etc. nous conviennent très bien. Nous avons donc établi une relation sur le long terme et de cette association va pouvoir naître l’éveil à notre propre nature et sa maîtrise potentielle avant le moment de la mort.

Le dernier point que nous montrent Luke et Yoda, ce sont les efforts, les épreuves et les difficultés que nous allons automatiquement rencontrer sur le chemin à la découverte de la Grande Perfection. Nous allons en rencontrer pour la simple et bonne raison qu’une vie sans difficultés n’existe pas. Le chemin du Dzogchèn étant complètement imbriqué à notre existence et prenant même appui sur les expériences de notre existence, il est absolument illusoire de penser qu’un chemin à la découverte de sa nature primordiale soit un long fleuve tranquille. Les épreuves font partie du chemin et elles sont la base même de ce chemin. Comme nous l’avons vu, Luke n’a pas démarré en étant le roi du monde, bien installé sur son trône… Certains, d’ailleurs, comme le Bouddha, en sont même descendus pour pouvoir consacrer leur vie ou une partie de leur existence au chemin vers l’éveil. Luke a commencé son apprentissage sur Dagobah par la rencontre avec un monstre et en perdant (en apparence) son billet retour, son x wing.

On nous prévient donc d’emblée : quel que soit le chemin de transformation ou d’évolution que l’on arpente, qu’il soit spirituel ou mondain, il nécessite des efforts.

Cela aussi fait partie de la relation avec l’ami de bien. Ce dernier s’attend à ce que l’on fournisse des efforts pour pouvoir atteindre ce que nous désirons. Attention donc à ne pas nous méprendre sur le résultat que nous souhaitons obtenir ! Le maître le sait : sans effort, pas de résultat.

Luke, au début, est impatient, il ne tient pas en place. Il est pétri de fausses certitudes : soulever une pierre sans les mains oui, mais son astronef, non ! Ce nain vert qui veut être mon ami ne peut être qu’un sauvage, etc.

Puis, petit à petit, l’entraînement commence à porter ses fruits : il arrive à se calmer de plus en plus, écoute plus, devine plus, envisage plus tout ce qu’il lui est possible de faire. Cette évolution, c’est grâce à la rencontre des deux ; Luke et Yoda finissent naturellement par trouver un terrain sur lequel se rejoindre. Ils se sont apprivoisés, ont pris le temps de se connaître et savent que l’un est là pour l’autre. C’est cette association bénéfique qui permet finalement à Luke d’affronter ses peurs et ses épreuves et d’en sortir victorieux. Avec une main en moins quand même…

S’il y a un conseil fondamental dans la pratique du chemin de la Grande Perfection, c’est celui-ci : prenez bien le temps de rencontrer puis de connaître l’Ami Nain Vert. Il est la clef qui peut vous ouvrir à la Force et, finalement, mettre fin à toute souffrance.

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