La Mer Morte

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Écrit par Mila Khyentse

Mila Khyentse est un enseignant français du Dzogchèn et du Bouddhisme tibétain et l'initiateur du projet Dzogchen Today!

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Dans « La Mer Morte », Mila Khyentse nous rappelle que même la Mer Morte porte la vie. Pour le Dzogchèn, la mort est dans la vie.

Série : L’été de l’océan

 

La Mer Morte

 

Je ne sais pas si vous connaissez la Mer Morte ? Elle est également appelée Yām HaMélaḥ en hébreu, c’est à dire la « Mer de Sel » et Bahr-Lût « mer de Loth » en arabe et est située entre Israël, la Jordanie et la Palestine comme une sorte de trait d’union. À cause de sa forte salinité (près de 27,5% alors que la plupart des mers du globe a une salinité de 2 à 4%) et la présence d’électrolytes toxiques, aucun poisson ou aucune algue macroscopique ne peuvent y subsister. Elle est donc morte… en apparence. Non seulement elle est morte, mais elle est en train de mourir ! Depuis les années 1970, la Mer Morte a perdu le tiers de sa superficie et cela continue. Comme beaucoup d’autres lieux aquatiques ou d’autres écosystèmes du monde, elle est en train de disparaître, ne pouvant s’adapter au rythme de la transformation de l’environnement de la planète.

Et pourtant. Cette fameuse Mer Morte sur laquelle vous pouvez flotter naturellement sans aucun effort mais qui, quand vous en sortez, vous transforme en biscuit apéro totalement salé (j’en ai fait l’expérience), n’est morte qu’en apparence car elle aussi abrite la vie. En effet, des organismes microscopiques y vivent normalement. Et, plus étonnant encore, en 2011, des sources d’eau douce ont été découvertes permettant le développement d’une vie non halophile (qui survivent en milieu salin extrême).

Donc, pas si morte que ça la fameuse mer…

 

 “C’est pourquoi sur le chemin du Bouddhisme et du Dzogchèn, on se prépare au moment de la mort car, tout comme la Mer Morte qui abrite la vie, le moment de notre mort abrite notre future existence.” 

Nous avons toujours tendance à voir la mort d’un côté et la vie de l’autre. Pourtant, pour le Dzogchèn, opposer vie et mort est un non-sens car il est dit que la mort fait partie de la vie et que la vie est le prolongement de la mort. Les deux font partie du cycle illusoire de l’existence. C’est un processus infini, une danse naturelle sans fin dans laquelle la mort succède à la vie en un nombre illimité d’existences.

Nous opposons habituellement la mort à la vie car notre peur de la première nous fait nous tourner résolument vers la seconde. Pourtant, la Grande Perfection questionne ce point : pourquoi craindre la mort puisqu’elle est vie également ? Dans la tradition, la vie est un espace intermédiaire situé entre naissance et mort. Un autre espace intermédiaire est celui du rêve. Et un autre encore est celui de la mort, situé entre celle-ci et la prochaine naissance. Certes, cette « existence » dans la mort que l’on appelle « l’espace intermédiaire de la mort » ne possède pas les mêmes caractéristiques que celle du temps de notre vie, c’est-à-dire de la naissance à la mort, mais elle est tout aussi réelle (et donc illusoire) pour la Grande Perfection.

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C’est pourquoi sur le chemin du Bouddhisme et du Dzogchèn, on se prépare au moment de la mort car, tout comme la Mer Morte qui abrite la vie, le moment de notre mort abrite notre future existence. Il est donc nécessaire de prendre soin de notre mort, de nous y préparer. Notre vie actuelle et toutes celles qui viendront potentiellement après n’en seront que plus précieuses !

Et même si nous ne croyons pas en cette ronde incessante de vies et de morts, ne serait-ce pas intéressant pour le futur de nos enfants de nous poser cette question : « Et si je revenais dans vingt ans, dans un nouveau corps, quelle serait mon attitude aujourd’hui ? Que pourrais-je faire pour améliorer mon demain ou mon après-demain et par-là même celui de tous les êtres qui comme moi cheminent sans fin ? » La Mer Morte aura peut-être d’ailleurs déjà disparu…

Laissons à Dodrupchen Jigmé Trinlé Özèr le mot de la fin :

(…) À partir de cette vie et tout au long de mes existences futures, puissé-je ne jamais développer la moindre intention néfaste envers les êtres sensibles, mes propres parents ! Puissent mes intentions et mes actions bénéfiques s’écouler sans interruption, comme un cours d’eau ! [1]

 

[1] “La Prière du moment de la mort”, Dodrupchen Jigmé Trinlé Özèr, 1745-1821. La traduction en anglais est ici : https://www.lotsawahouse.org/tibetan-masters/dodrupchen-I/aspiration-at-moment-of-death

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