Des vacances dans la nature de l’esprit
Ecrit par Damien Brohon
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Dans son article “Des vacances dans la nature de l’esprit”, Damien nous montre que les sensations sont la nature lumineuse de notre esprit.
Des vacances dans la nature de l’esprit
Le vent du large, chargé d’humidité et d’infini, qui caresse le visage. Les milliers de particules de sable qui brûlent les pieds avant qu’ils ne soient rafraichis et légèrement aspirés par une flaque d’eau de mer. Au-dessus de la tête, la « sereine ironie » de l’« éternel azur »[1]. Une boisson pétillante sur-sucrée dont le goût citron si intensément – si merveilleusement – chimique irradie jusqu’au fond de la gorge. Une odeur caramélisée qui évoque des souvenirs d’enfance. Les cris des jeux dispersés par l’espace. Ces lunettes teintées qui apaisent le feu solaire tout en déréalisant doucement le spectacle de cette plage et de ses humains en maillots de bain. Ceux-ci offrent au regard une belle variété chromatique : leurs épidermes témoignent des stades de cuisson plus ou moins avancés selon le temps passé en vacances. Tout comme mon esprit – flottant d’une sensation à l’autre – à ce moment est vacant. Ces deux termes nous viennent du latin vacare et évoquent le vide laissé par l’arrêt temporaire de l’activité professionnelle. Vide déprimant pour les workaholics, mais souvent apprécié par les autres. Peut-être parce qu’il permet d’être disponible de manière légère, gratuite et hédonique à nos sensations sans avoir à en faire d’emblée quelque chose d’utile. Des vacances dans la nature de l’esprit
“les laisser se déployer sans rien en faire de spécial. Ni fixation, ni rejet. Les laisser être ce qu’elles sont. En voir le caractère éphémère et insaisissable”
Les premiers rayons du levant me réveillent de leurs ors doux et puissants. Pendant un moment je ne sais trop si c’est un rêve ou la réalité. Je m’assieds dans mon lit pour commencer la méditation, en même temps que la fraicheur et la senteur boisée de la cabane s’imposent à moi, me disant que je ne suis pas dans mon lieu de vie habituel mais en train de mettre à profit mes vacances pour faire une retraite. Je sens l’énergie matinale du corps – différente de celle du soir – même si je suis encore un peu engourdi. Après quelque temps, je me lève, ouvre la fenêtre et découvre – depuis le sommet de la colline où se tient mon ermitage temporaire – une forêt aux mille nuances dorées. En émane le chant merveilleux d’un chœur aussi incroyablement multiple et divers qu’invisible. En effet, les habitants ailés de ce lieu viennent de se réveiller, eux aussi, et c’est comme si l’espace vide et lumineux du ciel était célébré par ses familiers. En retraite, sans travail à faire, sans personne à qui parler, sans téléphone portable, les sensations prennent beaucoup de place car rien ne vient nous en distraire. Et cela fait partie de la retraite : les laisser se déployer sans rien en faire de spécial. Ni fixation, ni rejet. Les laisser être ce qu’elles sont. En voir le caractère éphémère et insaisissable.
Les sensations sont toujours ainsi… pas juste en vacances, pas juste en méditation, pas juste en retraite… Seulement, d’habitude, nous identifions ces sensations, nous les ramenons à des concepts : cette forme à quatre pieds est celle d’une table, cet objet lisse et arrondi que je sens dans ma main est une tasse, la lumière verte qui s’allume devant moi est plaisante car il signifie que je peux passer. Autrement dit des sensations nous faisons des concepts. Nous mettons à distance la sensation pure, dans sa richesse et sa nouveauté infinie, pour lui préférer les repères figés habituels des concepts. Si utiles qu’ils soient d’un point de vue pragmatique, ils ne sont in fine qu’une représentation du réel et non le réel lui-même.
Ce filtre conceptuel masque ce que la pratique du Dzogchèn révèle : lorsque l’on est pleinement présent à la sensation sans l’alourdir de commentaires ou de ratiocinations, elle apparaît comme
rtsal
la dynamique radieuse de la nature infiniment ouverte et lumineuse de l’esprit ; son déploiement libre de toute fixation se manifestant comme
rol ba
le jeu de l’esprit et la capacité lumineuse de connaissance, et comme
rgyan
l’ornement, la sensation comme la manifestation même de l‘absolu.
L’absolu ne se tient pas dans quelque espace inaccessible, mais se tient au cœur de chacune de nos sensations qu’elle soit modeste ou spectaculaire, agréable ou désagréable, qu’on soit en retraite ou au travail. La pratique nous aide à établir et stabiliser cette reconnaissance en tout temps, lieux et circonstances et nous offre ainsi des vacances dans le sens le plus profond du mot. Des vacances dans la nature de l’esprit.
[1] Stéphane Mallarmé.
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