La Base des Phénomènes
Écrit par Mila Khyentse
La Base Primordiale de la réalité
Pour le Dzogchèn, tous les phénomènes ont une base primordiale (tib.: shi, gzhi)*. Or, cette base n’est en rien différente de tous les phénomènes ; elle constitue, pour chacun d’eux, le fondement. La base n’est donc pas comprise comme un objet – aussi vaste soit-il – séparé des phénomènes. Elle fait partie intégrante de chaque phénomène et chaque phénomène la reflète de manière parfaitement égale. Ainsi, on dit que la nature d’un rayon de soleil est aussi vide que celle du soleil lui-même. La vacuité de la base se reflète dans tous ses phénomènes.
« Dans l’étendue dans laquelle la connaissance naturelle de Rigpa surgit spontanément, libre de toute saisie, demeurez et détendez-vous, sans artifice ni fabrication. Quelles que soient les pensées qui surgissent, en reconnaissant leur essence, laissez-les toutes se libérer comme la manifestation de votre propre nature intrinsèque… »
Longchenpa
Trois Aspects de la Base
La base contient en elle-même trois aspects : l’essence (nowo, ngo bo, la vacuité), la nature (rangshin, rang bzhin, la luminosité, la clarté, la capacité d’émergence et de réflexion du vide) et l’énergie (thougdjé, thugs rje, « énergie ou rayonnement de la compassion universelle », la manifestation), cette dernière se divisant en énergie vide, énergie de manifestation externe (phénomènes tangibles) et énergie de manifestation interne (phénomènes de luminosité interne). L’image d’un miroir est souvent utilisée pour expliquer les trois aspects fondamentaux : la pureté et la clarté, la capacité de réflexion et les images qui apparaissent « dans » le miroir sont les conditions interdépendantes de la réalité du miroir. S’il n’y a pas de clarté, le miroir ne reflète rien. S’il n’y a pas de capacité de réflexion, il n’y a pas d’images, et s’il n’y a pas d’images, il n’y a pas de miroir.
La base est donc entendue ici comme le socle fondamental de l’existence des êtres et de la réalité. En pratique, afin de percevoir clairement cette base, il est nécessaire pour le pratiquant dzogchèn d’expérimenter l’état primordial par le biais de la méditation non-duelle.
Les Sept Affirmations de la Base
L’exposition de la base de la réalité selon le Dzogchèn peut nous éclairer sur ce qu’elle est et n’est pas. Elle est traditionnellement présentée en termes de sept affirmations différentes (mais non divergentes).
- La Base est spontanément établie (lhundroup, lhun grub). Spontanéité : la base n’est pas une cause de jaillissement des phénomènes dans le temps ou l’espace. Il n’y a donc aucune antériorité ni aucune postérité à l’apparition des phénomènes. Ils « apparaissent » et « disparaissent » donc en fonction des facteurs conditionnants intrinsèques à leur nature, mais pas en fonction de la base. Équanimité incessante (lhun nyam, lhun mnyam) et perfection spontanée (lhun dzog, lhun rdzogs) sont ses deux caractéristiques principales.
- La Base est indéterminée (manépa, ma nges pa). Rien n’existe pouvant être déterminé comme « ceci » ou « cela » dans l’essence de la présence intrinsèque ou spontanée (rig pa). La base apparaît donc sous toutes les formes.
- La Base est déterminée (népa, nges pa). La présence éveillée dans son essence est immuable. La base ne peut donc être troublée par ses propres expressions.
- La Base qui peut se transformer en n’importe quoi (tchir yang gyour dou toub pa, cir yang bsgyur du btub pa). Au sein de l’essence de la présence éveillée, n’importe quoi sous n’importe quel aspect peut émerger. Rigpa manifeste toutes choses, est toutes choses et se transforme en toutes choses.
- La Base comme quelque chose dont tout peut être imaginé (tchir yang dou khé lang sou toub pa, cir yang du khas blang su btub pa). Tout peut être pensé dans l’essence de la présence éveillée. L’essence de la Base étant non tangible, sans rien en propre, tout est manifesté.
- La Base qui est bariolée ou diverse (trawo, natsog ; khra bo, sna tshogs). En l’essence de la présence éveillée apparaissent sans cesse tous les modes de manifestation.
- La Base est primordialement pure (kadag, ka dag). C’est-à-dire que l’essence de la base n’est pas « touchée » par la nature duelle ou « mélangée » des phénomènes. En fait, cette pureté est l’essence même des phénomènes qui sont donc libres d’apparition, de cessation, d’existence et de non-existence. En d’autres termes, ils sont présents, mais vides, donc ni « ici » ni « là-bas », ni « apparaissant avant » ni « disparaissant après ».
Comment demeurer naturellement dans la Base?
Comme le dit Longchenpa : « Dans l’étendue dans laquelle la connaissance naturelle de Rigpa surgit spontanément, libre de toute saisie, demeurez et détendez-vous, sans artifice ni fabrication. Quelles que soient les pensées qui surgissent, en reconnaissant leur essence, laissez-les toutes se libérer comme la manifestation de votre propre nature intrinsèque… »**
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