L’Écran dans l’Écran

Écrit par Grégoire Langouet

Doctorant à UCLouvain (Belgique), co-directeur des éditions Vues de l'esprit, traducteur du tibétain.

Blog | Et moi dans tout ça ?

Dans cet article, Grégoire, philosophe dans l’âme, s’interroge sur la réalité de notre réalité via les écrans.

Durant l’épidémie de Covid beaucoup d’entre nous ont expérimenté les réunions en ligne. Passer des heures devant son écran pour travailler, mais aussi pour s’amuser, en famille ou entre amis. La digitalisation croissante de nos sociétés n’est plus à démontrer, qu’on la souhaite ou qu’on la déplore. De ces expériences répétées de discussions digitales une petite réflexion a surgit. Regardant mon écran, je me disais que malgré toutes les critiques à émettre envers ce type de communication numérique et ce qui les rend possible (et elles sont nombreuses !), ces outils très pratiques pouvaient nous donner à faire l’expérience d’une étrange forme de réalité. Mais plus encore, en retour, et bien malgré eux, ils pouvaient nous donner à voir la nôtre de réalité, celle habituelle, ordinaire – physique, tangible, matérielle, sensible et bien solide, la seule vraie, l’authentique – sous un tout autre angle, sous un jour nouveau, insoupçonné jusque là… Ambivalence des écrans.

Car, tout le monde en conviendra, devant son écran on peut être stressé, enjoué, attristé : de devoir faire telle ou telle présentation pour son travail, de voir ses enfants, sa famille ou son conjoint, d’apprendre la mort d’un proche, pour ne pas même évoquer les enterrements en ligne ou, plus joyeusement, de tomber amoureux ! En un mot, il y a beaucoup d’émotions qui passent par là, comme dans la vraie vie, comme « en présentiel » – l’autre n’étant faite que de bits convertis en pixels sur un écran, et produisant des data. Donc toutes ces émotions, toutes ces pensées et même ces sensations ressenties devant son écran, seraient-elles moins réelles que celles provenant d’une interaction « physique » ?

“Ainsi, ne sommes-nous pas également immergés, hors écran, dans une gigantesque projection, une illusion parfaitement conçue, une sorte de rêve vivant permanent ?”

Comment peut-on à ce point être capté par nos émotions devant de simples pixels sur un écran ? Quelle simulation réussie ! Nous y sommes comme avec d’autres, en relation. Bien sûr il manque les informations provenant de certains sens, toucher et odorat en particulier. Mais beaucoup de choses sont ressenties. On y communique presque comme en vrai. Et pourtant, il s’agit bien d’un enchantement, d’une illusion magique apparaissant mais n’existant pas vraiment. Un vrai tour de magie !

Une vieille tradition grecque parlait déjà d’une sombre caverne dans laquelle les humains seraient plongés regardant, projetés sur les murs, les ombres que nous prenons pour la réalité.

Ainsi, toutes ces analogies peuvent nous aider, en retour, à questionner le statut même de notre réelle-réalité-bien-réelle, l’authentique-assurée-sûre-et-certaine.

Mon mari à l’écran et mon mari “en vrai” ; comment puis-je être sûre qu’ils sont complètement différents ? Non pas dans le sens où ils seraient tous deux réellement-réels, mais dans le sens inverse… Qu’ils pourraient tous deux être une simulation, un trucage, une illusion magique !

Ainsi, ne sommes-nous pas également immergés, hors de nos écrans, dans une gigantesque projection, une illusion parfaitement élaborée, une sorte de rêve vivant permanent ? La réalité n’est-elle pas le plus grand écran qui soit, la simulation totale ? Sans doute réelle car apparente, et pourtant, peut-être, illusoire…

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