Quand l’Absolu s’invite à la table du petit-déjeuner

Écrit par Damien Brohon

Blog | Et moi dans tout ça ?

Damien, un pratiquant de longue date, nous parle de l’irruption de l’absolu dans notre quotidien. Il s’invite même au petit-déjeuner, un temps où nous aimerions plutôt déjeuner en paix…
 

 

C’est l’habituelle table du petit-déjeuner avec ses bols d’une blancheur usée, ses verres bleu outremer et ses cuillères tordues. La tasse de thé à l’hibiscus voisine avec la boite de céréales. Ce sont des formes et des couleurs vues, avant d’être des saveurs, distinctes puis mêlées. Puis elles deviennent l’apaisement de la faim ressentie tout à l’heure, avant le petit-déjeuner. Une odeur caféinée flotte, annonciatrice de ce qui se prépare tranquillement, juste à côté. La radio émet des sons supposés porteurs d’un sens, tandis que de la rue vient la rumeur du monde. Dehors ça tourne, ça roule, ça bouge déjà.

Pour ma part, je suis encore à peu près immobile. Mes mouvements sont encore emprunts de la pesanteur du sommeil ; mon flux mental est encore teinté des rêves qui ont occupés la nuit. Les émotions ressenties alors sont encore présentes mais dans une forme plus domestiquée. Il n’y a plus de bataillons d’éléphants enragés à dompter, mais juste une vague appréhension des défis de la journée. C’est ainsi que mon attention se tourne doucement vers ce qu’il est convenu d’appeler « la réalité » c’est-à-dire ce qui est socialement admis comme étant tel.

Le Dharma (la tradition initiée par le Bouddha) nous invite à examiner ces phénomènes. Sont-ils permanents ou sans cesse fluctuants ? Sont-ils autonomes ou mutuellement dépendants les uns des autres ? Sont-ils simples ou composés de multiples parties ?

Mais ce consensus est-il vraiment satisfaisant pour définir la réalité ? La frustration, inhérente à la condition humaine, qui nous taraude si souvent ne viendrait-elle pas d’une vision réduite et jamais vraiment examinée de la vie ?

La tradition du Dzogchen nomme tout ce qui a été décrit plus haut, comme tout ce que nous sommes en train d’éprouver en ce moment même les phénomènes (en sanskrit les dharmin au pluriel et dharma au singulier). Formes, couleurs, textures, sons, odeurs, mais aussi pensées et émotions constituent ainsi une chatoyante trame phénoménale. Le Dharma (la tradition initiée par le Bouddha) nous invite à examiner ces phénomènes. Sont-ils permanents ou sans cesse fluctuants ? Sont-ils autonomes ou mutuellement dépendants les uns des autres ? Sont-ils simples ou composés de multiples parties ?

Et aussi : Le monde que je vois existe-t-il en dehors de ma perception (la table est-elle table « objectivement » ? L’est-elle pour une fourmi ?) ? Le sentiment que j’ai d’être moi-même existe-t-il en et par lui-même ? Ou lui doit-il se fonder sur la perception d’objets extérieurs (Où est le moi sans « image de moi » comme un reflet dans un miroir ?) ?

Ces questions nous détournent de nos routines mentales et tournent notre esprit vers la nature ultime des phénomènes, littéralement, la Dharmata. Y répondre vraiment peut changer radicalement notre regard sur la réalité et donc notre vie.

Alors le café a la saveur d’une liberté véritable et les céréales ont le goût de la paix qui vient d’avoir vu directement le cœur de ce qui est. Tout a changé mais rien n’est différent. Il n’y a pas d’autre monde, mais celui-ci se révèle infiniment vaste, ouverte et lumineux.

Et si l’absolu s’invitait à la table du petit-déjeuner ?

Cela ne tient qu’à un regard.

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